Le roman des présidentielles : le temps des snipers en politique

François Hollande a toujours été l’un des plus brillants commentateurs de la vie politique française. Mais il a aussi démontré que ce n’était pas une qualité suffisante pour devenir un grand président, ce qui, au passage, pourrait servir de leçon pour d’autres, dans la campagne en cours.

Son livre Affronter, verbe qu’il ne s’est pas appliqué à lui-même lors de la présidentielle de 2017, reculant devant l’obstacle du suffrage universel, est ainsi un bijou de lucidité et de causticité, l’une allant rarement sans l’autre chez lui.

On ne sait trop pour qui les coups de griffes de l’ex-président qui n’entend pas le redevenir, sont les plus saignants. Pour ses propres amis de la gauche, une social-démocratie en déroute, éparse et disloquée, ou pour ceux qui, issus parfois de son camp, mais qui s’en sont depuis émancipés, incarnent désormais un centre à la nature fluctuante, et une droite où l’électeur paraît avoir posé son bivouac ?

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François Hollande n’est jamais tendre avec Emmanuel Macron qui, disait-il déjà à l’époque de sa glorieuse ascension, l’aurait trahi avec méthode. Il le décrit ainsi comme cet homme « d’aucune doctrine », ce « voyageur sans boussole » qui change au gré des événements, en faisant même dans un bestiaire revisité, mais impitoyable, une « grenouille des nénuphars » qui saute d’une conviction à l’autre. Sans doute fut-il lui-même cette grenouille, qui chez La Fontaine, transportait le scorpion, l’aidant à traverser la rivière, avant le coup de dard mortel…

La campagne n’en est ainsi qu’au milieu du gué, mais François Hollande ne fait plus mystère de l’échec qui, sur l’autre rive, attend la gauche. Elle fait, dit-il à qui voudrait encore l’entendre, « comme si elle avait déjà perdu ces élections ». Regrettant son émiettement, évoquant ses « candidatures lilliputiennes », éreintant son boulet, Mélenchon, débusquant ses impostures, Montebourg ce « Zorro » qui s’il venait à s’asseoir à la table du Conseil européen, passerait très vite pour le « zozo » qu’il est.

« Personne, commente à son tour Gabriel Attal, transfuge du PS, ne trouve grâce aux yeux de François Hollande, si ce n’est François Hollande. » (Porte)-parole d’évangile, pour le coup, même si l’ancien président met sur cette campagne, le sel qui lui manque encore.

Les basses contingences du quotidien, on y reviendra plus loin, assèchent en effet le débat, les millions d’euros dispensés rendant la rime pauvre. Les formules, même si elles ne sont que des mots, lui donnent du relief. On ne se lasse pas ainsi des trouvailles de Hollande, même si ses bons mots ont fini par l’abîmer, politiquement s’entend.

Zemmour ? Ce « Petit chose » qui nourrissant une « amertume grandissante », souffre de ne pas être suffisant reconnu. « N’est pas Trump qui veut, même en miniature », cingle François Hollande. Édouard Philippe et son ambition différée ? « À l’image de ces poulpes qui se dissimulent derrière un nuage d’encre. »

Anne Hidalgo cherchait hier à Lille, aux côtés de Martine Aubry, à donner du souffle à sa campagne socialiste qui peine tant à décoller. L’ancien chef d’État n’en était pas, sans doute pour éviter l’image d’une réconciliation feinte avec la maire de Lille, « le flou » appelant toujours « le loup » comme l’aurait dit Aubry.

François Hollande serait-il devenu un fardeau trop lourd dans son propre camp ? Il faudrait laisser l’intéressé lui-même, le loisir de commenter.

Les sondages exotiques

Qu’ils nous paraissent ternes, pareillement au débat, les sondages du moment ? Seulement en état de donner une photographie de l’opinion à l’instant « t ». Ils avaient une autre gueule, un autre objet sous la florissante présidence Sarkozy, florissante pour les instituts surtout.

L’union avec Carla Bruni ? Les fâcheries avec Cécilia Sarkozy ? La grossesse de Rachida Dati ? L’impact des « Casse-toi, pauv’con » ? Tout semblait alors prétexte à la mesure de l’opinion, à la démesure du commanditaire. C’est la justice qui sonde désormais l’époque, dans un procès en correctionnelle baptisé « affaire des sondages de l’Élysée« , où comparaissent les femmes et les hommes forts du quinquennat 1987-2012, Claude Guéant, Emmanuelle Mignon, et où réapparaissent même quelques spectres d’alors, ou plutôt des gens de l’art, Patrick Buisson et Pierre Giacometti.

Nicolas Sarkozy que la justice cerne, sera finalement appelé à la barre pour éclairer la lanterne des juges sur la réalité des soupçons de « favoritisme et de détournement de fonds » pesant sur les prévenus, en sa qualité de témoin, la seule que son immunité présidentielle permet encore. La convocation, a cru bon de préciser le président du tribunal correctionnel, pourra au besoin recourir à l’usage de la force publique. Rempli de sagesse, ce qui lui ressemble assez peu, Nicolas Sarkozy lui a répondu que « les forces de l’ordre sont assez occupées » pour vaquer à d’autres tâches. Il se rendra au tribunal, comme il l’a toujours fait.

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Procès Bygmalion, procès dit « des écoutes », l’ancien président a ainsi entamé un second quinquennat sans fin de simple justiciable. Il serait utile de sonder l’opinion pour savoir ce que les Français pensent de ce programme, de ce parcours. Ils nous diraient sans doute que le suffrage universel en a déjà sanctionné les excès, et même les errements. Et que le verdict s’est montré alors implacable. Mais pas au point, pourtant, de l’écarter totalement du jeu politique. Nicolas Sarkozy garde toujours son influence. Elle est définitivement celle des anciens présidents, et de leurs fortunes diverses.

L’indemnité et la classe

Ne serait-ce que pour ne pas reproduire les erreurs commises, parfois fatales, jamais létales. Souvent imité depuis, Nicolas Sarkozy a prétendu ainsi qu’il serait le Président du pouvoir d’achat. Ce qu’Emmanuel Macron décline autrement, dans une formule de même essence : il ne voudrait pas être le battu de la cause. La peur des pompes funèbres, en quelque sorte.

Car le chef de l’État en appelle désormais à la créativité de son gouvernement pour contrer les effets sur le porte-monnaie de la hausse des carburants. Et afin de ne pas céder à la facilité, une baisse des taxes qui, à 60 %, en forment le prix, le Premier ministre invente une inédite indemnité « classe moyenne », un chèque de cent euros versé à la fin de l’année pour compenser les fuites de pouvoir d’achat de l’homo-véhiculus, celui qui ne se déplace jamais sans sa voiture. Dérisoire cautère, et étrange signal aussi, au moment où l’État dans son souci de décarboner la société, voudrait promouvoir des mobilités plus douces. Mais pouvait-il emprunter une autre voie ?

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Ingratitude du temps, la mesure ne fait pourtant que des mécontents. Entre ceux qui ne pourront pas toucher l’indemnité de classe, et ceux qui trouvent qu’elle ne vaut pas solde de tout compte, l’étau est en effet insupportable. Il fait la critique facile : « Il n’est pas normal que l’État remplisse ses caisses quand le porte-monnaie des Français se vide », soutient Xavier Bertrand favorable à la baisse des taxes. Et le jugement sans appel : « Un nouveau chèque en bois financé par la dette », cingle Bruno Retailleau qui se soucie surtout des dépenses publiques. Des ménages, c’est autre chose.

On devine pourtant que la question du pouvoir d’achat sera bientôt centrale dans la campagne. Bien avant la protection de l’environnement, que le pétrole et son exploitation ont souvent souillé. Ou la question de la sécurité ou de l’immigration, domaine où le risque d’inflation tient souvent aux idées, et au prix qu’on leur accorde.

Le peuple et les bourgeois

Yannick Jadot, le candidat écologiste, devra ainsi continuer de labourer son terrain, s’il veut replacer ses vertes préoccupations au cœur du débat. Pour percer, il espère pour l’heure de nouveaux ralliements, celui de Hidalgo étant le plus attendu. Mais pour l’heure, c’est Anne qui ne voit rien venir. En panne sèche dans l’opinion.

Car en ligne de mire, et avant que Les Républicains ne choisissent leur champion le 4 décembre, il y a cette nouvelle barre de qualification pour le second tour à atteindre. Elle s’est abaissée à 16 ou 17 %, les intentions de vote prêtées à Emmanuel Macron, un quart et plus des exprimés, restant toujours inatteignables.

C’est, nous dit-on, l’effet Zemmour et ce sillon qu’il continue de creuser dans l’électorat, sur la frange populaire des Républicains, sur la frange bourgeoise du Rassemblement National, indiquent les enquêtes d’opinion qui segmentent à l’envi la société. On ne s’attendait pas à trouver autant de monde à ces confins.

Pour espérer se qualifier, et échapper au prélèvement de classe imposé par Éric Zemmour, la droite, celui ou celle qui l’incarnera bientôt, devrait-elle ainsi réapprendre à parler au peuple ? Et, inversement, pour éviter de se tasser davantage, Marine Le Pen devrait-elle reprendre les positions fortifiées du mouvement nationaliste que son père, son meilleur ennemi, lui a reproché d’avoir désertées ?

Plaire au peuple, et ne plus déplaire au bourgeois, quel étrange dilemme, tout de même.

Psychanalyse à trois balles

Le temps des snipers serait-il venu ?

François Hollande, on l’a vu aux prémices, tire à vue sur tout ce qui bouge encore, et surtout dans son camp. Nicolas Sarkozy, sous les feux croisés des juges, semble quant à lui s’être assagi. Il sait encaisser les coups.

La politique, le débat présidentiel n’est pas un décor de Hollywood, ou un plateau de western. Les armes y sont chargées à blanc. Elles peuvent tuer pourtant.

L’image d’Éric Zemmour braquant une arme de précision sur des journalistes a fait couler beaucoup d’encre. Mais c’est attacher beaucoup de symbolique et d’importance à un geste certes pas innocent, mais dépourvu de sens caché.

Le candidat imminent voudrait réduire le pouvoir des médias, dont il tire pourtant sa notoriété, son existence, toute sa raison d’être enfin. En visant la presse, c’est ainsi son propre pouvoir qu’il tient en joue.

Et la difficulté de passer de l’état de commentateur à celui de vrai acteur de la politique qu’il pointe.

Psychanalyse à trois balles, on vous l’accorde volontiers.