https://lindiscret.net/wp-content/uploads/2022/10/Modibo-Mao-MAKALOU-dans-Le-Focus.jpg

L’économiste malien Modibo Mao MAKALOU : « L’Etat doit nécessairement améliorer le pouvoir d’achat des citoyens »

Le pouvoir d’achat du citoyen malien s’effrite jour après jour. Tout le monde crie à la cherté de la vie. Les compteurs des affaires sont loin du vert. Face à cette situation, nous avons approché Modibo Mao Makalou, économiste et ancien conseiller à la présidence de la République  du Mali sous Amadou Toumani Touré, pour décrypter la situation et proposer des solutions. Interview !

Le Focus : Les temps sont durs. On assiste à une sorte de marasme économique. La poche du citoyen lambda semble trouée. Quelle explication donnez-vous à cette situation ?

Modibo Mao Makalou : Suite à des sanctions économiques infligées par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) durant environ cinq mois, le Mali a amorcé une reprise économique avec une croissance de 3,2 % en 2021 après une contraction de 1,2 % en 2020.

La hausse des prix qui était de 4,1 % en 2021 contre 0,5 % en 2020 s’est accentuée en 2022 suite à la résurgence de la Covid-19 et la guerre en Ukraine en février 2022 pour atteindre des niveaux élevés sans précédent. Elle est imputable au prix élevé des produits alimentaires, et des transports dû à la flambée des prix des carburants et des intrants agricoles et à la baisse de 10,5 % de la production nationale de céréales.

La tension diplomatique entre notre pays et certains pays comme la France, la Côte d’Ivoire a-t-elle des conséquences sur l’économie malienne ?

Selon la direction générale du trésor français, la France est un important partenaire économique du Mali et le 2e investisseur privé étranger. Environ une centaine d’entreprises françaises employant plus de 5000 personnes opèrent au Mali dans plusieurs secteurs d’activité économique : le transport aérien, l’énergie, l’industrie, la logistique, le transit, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic), la distribution des carburants, l’agroalimentaire, le bâtiment et les travaux publics (BTP), les adductions d’eau, les médias, la vente de véhicules, le ciment et les matériaux de construction… En 2021, les échanges commerciaux entre le Mali et la France étaient estimés à plus de 300 milliards F CFA.

Pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, selon la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao), la part des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) dans les importations totales en 2020 se chiffrait à 43,4 %, soit un montant de 1275,7 milliards de F CFA.

La Côte d’Ivoire est le 2e fournisseur du Mali dans l’Uémoa avec des parts dans les importations du Mali de 35,4 % en 2020, contre 45,5 % pour le Sénégal. Le Mali est aussi dépendant du Port d’Abidjan pour son commerce international (importations d’intrants agricoles et de marchandises et exportations de coton).

Les importations en provenance des pays de l’Uémoa restent dominées par les produits pétroliers pour un montant total estimé à 665,8 milliards de F CFA en 2020 et la Côte d’Ivoire représente respectivement 36,7 % des importations de produits pétroliers du Mali au sein de l’Uémoa et 5,9 % des importations des matériaux de constructions et des produits alimentaires en 2020. Sur les six premiers mois de 2022, les importations en provenance de la Côte d’Ivoire étaient estimées à 127,61 milliards F CFA.

Notre pays a levé des fonds sur le marché sous-régional. Ces levées de fonds sont-elles suffisantes pour le redressement économique du pays ?

Le déficit budgétaire s’est amélioré, pour atteindre 4,7 % du PIB en 2021 et l’Etat du Mali doit recourir à la dette publique (dette extérieure et intérieure) et l’aide publique au développement pour financer son déficit budgétaire. Le déficit de financement, qui était estimé à 11,2 % du PIB en 2021, est couvert principalement par des financements nationaux et sous-régionaux qui représentent 77,6 % du financement total.

Pour ce qui concerne le financement de la dette intérieure qui est libellée en F CFA, le Mali est assez actif sur le marché monétaire et financier de l’Uémoa. Le 9 août 2022, l’Etat du Mali a lancé un emprunt obligataire de 200 milliards F CFA avec une maturité de 10 ans au taux de 6,20 %, il a pu récolter 277,371 milliards F CFA pour financer les infrastructures.

Aussi l’Etat du Mali, à travers la direction générale du trésor et de la comptabilité publique, a obtenu le 5 octobre 2022, au terme de son émission simultanée de bons assimilables du trésor (BAT) et obligations de relance (ORD) du Trésor de maturité 182 jours, 3 ans et 7 ans au niveau du marché financier de l’Union monétaire ouest africaine (Umoa) un montant de 33 milliards de FCFA (49,500 millions d’euros).

Enfin l’Etat du Mali a levé le 19 octobre 2022 sur le marché financier de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) un montant de 44 milliards de F CFA (66 millions de dollars) au terme de son émission simultanée d’adjudication de bons assimilables du trésor (BAT) de maturité 182 jours et d’obligations de relance (ODR) du Trésor de maturité 5 ans et 7 ans.

Les prévisions rectifiées des recettes et des dépenses budgétaires de l’Etat du Mali dans la loi de finances rectificative adoptée en août 2022 étant arrêtées respectivement à 1982,440 milliards de F CFA et 2647,028 milliards de F CFA, il se dégage un déficit budgétaire prévisionnel révisé de 664,588 milliards de F CFA contre 617,564 milliards de F CFA dans la loi de Finances initiale 2022, soit une hausse de 47,024 milliards de F CFA ou un taux d’évolution de 7,61 %.

Que faire à votre avis pour la relance de l’économie nationale ?

Présentement, le pouvoir d’achat est en train de s’effriter et c’est partout dans le monde dans les pays les plus riches tout comme dans les pays aux revenus les plus faibles. Les prix de l’alimentation ont beaucoup augmenté, de même que ceux de l’énergie suite à la hausse du prix du baril de pétrole et de l’appréciation du dollar face à l’euro et au F CFA.

Notons que le carburant est un facteur déterminant du coût de la vie, car le prix du transport affecte tous les produits y compris ceux de l’énergie, des transports et de l’alimentation. Comme nous ne sommes pas producteurs de ressources énergétiques, cela va représenter un gros défi pour l’Etat déjà qu’il abandonne une partie de ses recettes pour que le prix à la pompe soit abordable pour les citoyens.

L’Etat devra nécessairement continuer les subventions des produits de première nécessité de même que des transferts d’argent ciblés envers les couches de population les plus vulnérables, et cela engendrera une hausse des dépenses publiques et de la dette publique. Il va falloir trouver des solutions pour améliorer le pouvoir d’achat, c’est-à-dire en subventionnant davantage et en diminuant certains prix des produits de première nécessité tout en surveillant étroitement que les subventions sont réellement bénéfiques aux populations. Les hausses de prix impactent de façon disproportionnée les ménages les plus pauvres, qui doivent dépenser une plus grande part de leurs revenus sur l’alimentation, par rapport aux ménages plus aisés.

Pour relancer son économie, le Mali devrait essentiellement utiliser la politique budgétaire ou fiscale qui constitue le meilleur instrument de politique économique conjoncturelle plutôt que la politique monétaire. Il s’agira essentiellement à travers les dépenses publiques de cibler les secteurs clés et les services de base essentiels, comme l’agriculture, l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau potable, l’industrie, les logements, le développement urbain et l’assainissement, de même que des infrastructures de base de qualité qui ont une forte incidence sur la réduction des inégalités, surtout parmi les couches les plus vulnérables, notamment le secteur informel, les femmes, les filles et les jeunes mais aussi d’augmenter, de diversifier et de transformer la production nationale, stimuler la production d’aliments et d’engrais, améliorer les systèmes alimentaires, soutenir les ménages  les plus vulnérables et les producteurs vulnérables pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Quelle place occupe le coton dans l’économie malienne ?

Le coton est la deuxième source de recettes d’exportation du Mali après l’or et sa contribution au produit intérieur brut (revenu national) est estimée à 15 %. Il procure aux producteurs des revenus pour la satisfaction de leurs besoins monétaires et la sécurité alimentaire à travers la production de céréales. Il soutient les activités des industries textiles, des huileries, des savonneries, de la production d’aliments bétail, de la trituration de la graine, des banques, des transporteurs, des fournisseurs de pièces détachées, d’intrants agricoles et de carburants.

Selon les dires des cotonculteurs, les résultats de la campagne 2022 ne seront pas au rendez-vous. Quelles peuvent être les conséquences d’une mauvaise campagne cotonnière sur notre économie ?

La campagne agricole 2022 à 2023 a convenablement démarré grâce à la pluie survenue en début juin 2022 dans les zones cotonnières. En dépit des prévisions des pluies normales à excédentaires, les difficultés d’accès aux intrants agricoles (engrais, semences) et l’insécurité entraineront probablement des récoltes en dessous de la moyenne.

A lire aussi: Coton au Mali, les prévisions ne sont pas bonnes

Aussi, la faible disponibilité actuelle des intrants agricoles (engrais) en lien avec la guerre en Ukraine, la hausse du prix des engrais de plus de 50 % par rapport au prix habituel limiteront leur accès aux producteurs surtout pour les zones de riz irrigué, de coton et de maïs ; de même que l’invasion des champs de coton par de nouveaux parasites font planer un grand risque sur la prochaine campagne cotonnière.

Propos recueillis par Yacouba Traoré

Source : Le Focus (Hebdomadaire)