MEMORIAL MODIBO KEITA (Mali) : Un joyau qui se meurt faute d’entretien
Le Mémorial Modibo Kéita est un joyau architectural construit en la mémoire du premier président du Mali. Malheureusement, ce haut lieu de l’Histoire de notre pays écorne l’image du père de l’indépendance du Mali, faute d’entretien ou de mauvaise gestion.
Inauguré le 6 juin 1999, le Mémorial Modibo Kéita est un ensemble architectural composé de deux structures symétriques séparées par une troisième en axe central. Au-dessus de ce corps central se dresse majestueusement la statue du père de l’indépendance de notre pays.
Ce lieu hautement symbolique est même inscrit sur le site de Mali Tourisme comme une vue touristique. D’ailleurs, Mali Tourisme décrit le Mémorial Modibo Kéita comme un « lieu de mémoire pour la génération passée, présente et future ». Malheureusement, ce lieu n’est aujourd’hui que l’ombre de cette description.
Dans cet article, nous vous amenons dans les « anti chambres » du site construit à la mémoire du premier Président du Mali, du premier Noir africain élu vice-président de l’Assemblée nationale française, du premier maire de Bamako, Modibo Kéita. Afin de vous faire découvrir certaines réalités que vous n’imaginez pas ou auxquelles vous ne prêteriez pas attention.
Mauvaise organisation
Faut-il le rappeler, le Mémorial Modibo Kéita est situé à la descente du pont Fahd, à droite, en face de la Cité administrative. Nous sommes le 28 juin 2024, soit près d’un mois. Notre rédaction y est conviée pour la couverture d’un atelier de la société qui se tient au Mémorial Modibo Kéita à 9 h.
Comme tout bon professionnel, nous venons avant l’heure. Surprise ! Nous trouvons les organisateurs en train de chercher la salle qu’ils ont réservée il y a quelques jours. Eux aussi sont surpris. Celle qui a réservé la salle est occupée ailleurs à une autre activité. La secrétaire du directeur auprès de laquelle la réservation est faite n’est pas encore arrivée, de même que le directeur. La direction est encore sans personnel à 9 h moins quelques minutes.
Soudain, un homme de taille moyenne, habillé en boubou vient vers nous. C’est visiblement lui qui gère les salles. Il aborde les organisateurs et leur demande de le suivre. Ensemble, nous nous dirigeons vers la structure symétrique droite. Encore surprise. La salle où le monsieur nous a conduits n’est pas prête. Manifestement, elle n’est pas nettoyée depuis plusieurs jours. Des bouteilles d’eau et des canettes de boisson sont éparpillées sur les carreaux et les tables poussiéreux.
Sur le champ, il appelle trois dames et leur ordonne de préparer la salle après les avoir sermonnées. Nous attendons à la porte. Les participants commencent à venir. Mais la surprise n’est pas terminée. Le même monsieur vient nous dire qu’il s’est trompé de salle.
Il nous conduit dans une autre salle à la structure symétrique gauche qui n’est pas non plus prête. De surprise en surprise, tout le monde est ébahi. Les gens s’étonnent du degré de désorganisation du temple dédié au père de l’indépendance du Mali qui, selon des témoignages, tenait beaucoup à la bonne organisation, à la rigueur. Alors, les langues se délient.
Les pieds dans le plat
« C’est du n’importe quoi ici. Comment cela peut-il se passer ici. Vraiment c’est un manque de sérieux. Ce serait ma dernière activité ici. Ils agissent comme si les salles étaient gratuites alors que la plus petite de ces salles coûte 100 000 F CFA », s’emporte-il.
Un des participants qui est un cadre dans l’administration ajoute : « La gestion de l’administration du Mémorial a toujours été comme ça. Il y a quelques mois, j’ai organisé une activité ici. Des étrangers faisaient partie des participants à cette activité. Connaissant le fonctionnement d’ici et pour ne pas vivre cette situation et l’humiliation devant les étrangers, je suis venu la veille pour m’assurer que tout est mis en place. Mais, il n’y avait rien. Alors j’ai demandé qu’ils fassent tout à ma présence ».
Ce Mémorial n’est pas digne de Modibo Kéita, s’insurge un autre participant, directeur d’un grand établissement hôtelier de la place. Regarde comment les lieux sont sales, dit-il en montrant une flaque d’eau. Si j’étais le directeur du Mémorial, j’allais renvoyer tous ceux sont chargés de l’entretien des locaux ».
A côté de lui, quelqu’un rétorque que ceux-ci sont à l’image de leur directeur qui n’est pas encore arrivé dans son bureau. Au lieu de 9 heures, l’atelier a plutôt commencé à 10 h.
Après ce jour, nous avons décidé de revenir de temps à autre au Mémorial pour un constat plus approfondi. C’est le même constat. Rien ne change. Pour rappel, chacune des structures symétriques est dotée de toilettes séparées pour hommes et femmes. Elles sont également dotées chacune d’une aire pavée parsemée de cocotiers et de bananiers. Les toilettes sont mal en point. Les carreaux sur le sol sont couverts de crasses par endroits. Faute d’entretien, les arbres ont beaucoup de branches mortes. Des déchets isolés décorent aussi l’espace pavé de l’aire de la structure gauche.
Derrière la structure principale se trouve une annexe qui abrite la direction, une salle de 100 places, une salle de 200 places et une autre encore plus grande. Les deux salles de 100 et 200 places forment un bloc non loin de la structure qui abrite la voiture de Modibo Kéita.
Le bloc et cette structure sont séparés par un espace au milieu duquel se dresse un grand manguier. Sous cet arbre se trouve un bloc de deux toilettes pour les deux salles. Ledit espace est assimilable à un dépôt d’ordures. Pour accéder aux toilettes, il faut se faufiler entre les ferrailles, des vieilles tables et des feuilles mortes qui se côtoient.
En continuant sur la ligne des bâtiments annexes, le bloc de la direction suit celui des deux salles de 100 et 200 places. En plus de la direction, ce bloc comprend une salle de conférence, laquelle est suivie d’un bloc de plusieurs toilettes, suivi d’une salle d’attente. La grande salle ferme la rangée.
Champ de ruines
Il existe un espace entre ces différents blocs et le mur de clôture. Cet espace est abandonné à lui-même. Des herbes mortes, des feuilles mortes, des objets usés s’y entremêlent. En observant la cour, la conclusion que l’on peut est que l’administration ou du moins les agents chargés de l’entretien du Mémorial concentrent leurs efforts sur les parties les plus visibles et abandonnent les coins… reculés.
Pourtant, le Mémorial Modibo Kéita génère beaucoup d’argent pour les caisses de l’administration et on n’a pas besoin d’experts ou d’aller fouiller dans les caisses pour se rendre compte de cela. En effet, le Mémorial compte au moins cinq salles de conférences et une grande salle de centaines de places. Chaque fois que nous sommes passés, nous avons trouvé qu’elles étaient occupées et cela n’est pas gratuit.
Notre dernier passage date de ce vendredi 19 juillet. Ce jour-là, les deux salles de 100 et de 200 places ainsi que trois salles de conférence étaient toutes prises. Ce qui n’est pas une somme négligeable. Ce n’est pas tout. Deux espaces, dont l’un à droite et l’autre à gauche, sont aménagés et gazonnés à l’entrée principal du Mémorial. Tous les week-ends presque, ces espaces sont loués pour des cérémonies de mariage.
Le Mémorial Modibo Kéita a pour mission de promouvoir l’Histoire de notre pays. Il doit être la vitrine du pays. Malheureusement, les responsables du Mémorial semblent se focaliser sur la partie et oublier la mission de promotion de l’Histoire du Mali. Ailleurs, des structures comme le Mémorial seraient aussi propres qu’un hôtel où même un simple grain de sable est inacceptable.
Les autorités ont fait l’effort de construire le joyau. Il appartient aux responsables de les entretenir au mieux même si cela engloutissait toutes les recettes générées par les salles et espaces loués. Si cela n’est pas fait, il est tout à fait légitime de s’interroger sur la destination prise par les recettes.
Baba Traoré
Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’