https://lindiscret.net/wp-content/uploads/2024/07/le-forage-lalternative-risquee.jpg

ADDUCTION D’EAU : le forage, l’alternative risquée

Des forages poussent comme des champignons dans les quartiers périphériques de Bamako pour combler le vide créé par l’absence de la Somagep-SA. Réalisés par des sociétés dont le premier souci est l’argent, la grande majorité de ces forages ne répondent pas aux normes en la matière. Du coup, ces points d’eau constituent un risque majeur pour la santé de la population.

Il est minuit environ ce samedi soir à Nafadji en Commune I du district de Bamako. Nous sommes à la porte en train de causer autour du thé. Le courant vient d’être rétabli après plus de 15 h de coupure. Les enfants dorment. Donc pas de vivats pour souhaiter la bienvenue à l’électricité. Leurs mères font le boulot à leur place. Des portes s’ouvrent une à une. Des femmes sortent et convergent au château de Maman. Certaines courent. D’autres s’y rendent à pas accélérés. Chacune voulant arriver le plutôt et mettre son bidon en rang pour retourner se coucher en attendant le lendemain.

Cette scène est le quotidien de beaucoup de femmes de ce quartier qui attend impatiemment la desserte de la Somagep. Le forage est l’alternative pour les résidents de Nafadji d’avoir de l’eau à usage domestique. C’est pourquoi, le quartier est infesté de forages. Il en existe une dizaine rien que dans notre secteur. Pourtant, les spécialistes estiment que la démultiplication incontrôlée des forages comporte plusieurs risques.

Non-respect des normes

Aboubacar Modibo Sidibé est docteur en sciences et technologies des eaux. Il est également chef de division suivi et gestion des ressources en eau à la direction nationale de l’hydraulique. Il a accepté, en tant que spécialiste, de nous parler de l’ampleur du problème et du risque qu’il constitue pour la santé de la population.

« Avant de faire un forage, il faudrait d’abord demander l’avis de la collectivité et ensuite faire la demande. Puis, les agents du service de l’hydraulique de la collectivité doivent assister à la réalisation du forage en faisant l’appui-conseil qui est normalement gratuit », précise Dr. Sidibé.

Tel n’est pas le cas dans les faits, déplore-t-il. « On ne peut pas dire le nombre exact de forages à Bamako puisque ces forages ne sont pas déclarés. Ce sont des forages clandestins réalisés dans des domiciles privés », explique-t-il. Ce qui, pour lui, fait que la DNH ignore si ces forages répondent aux normes.

Cependant, Dr. Sidibé a déjà sa propre idée sur la question. « Le prix du forage a baissé de façon drastique depuis quelques années. On a des entreprises étrangères et même des entreprises maliennes qui n’ont pas de spécialistes au niveau de leur structure qui s’adonnent à ces pratiques. Je considère ces forages comme étant des trous sans équipement. Le plus souvent, ils équipent les deux, trois premiers mètres et le reste du forage reste tout nu. Or, cela signifie que toute pollution peut venir dans ce trou. Quand on fait un pompage, on crée la dépression. Cette dépression amène de l’eau qui, en venant, peut apporter l’eau des fosses septiques qui sont souillées. Il faut rappeler qu’à Bamako, il y a une superposition de nappe. La première nappe qui est captée par les puits domestiques est en contact direct avec les fosses septiques. C’est pourquoi la distance réglementaire entre un forage et une fosse septique est 30 mètres. Ce qui est difficile à respecter parce que la plupart de nos maisons ont une dimension de 15 mètres sur 20 », argumente le spécialiste.

Pollution et assèchement de la nappe

« La réalisation anarchique des forages a pour première conséquence l’assèchement. A Bamako, nous sommes dans un milieu fracturé. L’eau circule à travers la fracture. De petites poches d’eau sont créées. Quand plusieurs personnes sont sur la même poche et que chacun pompe ce qu’il veut de manière incontrôlée, cette poche peut facilement s’assécher. Le risque, c’est de faire l’investissement et de ne pas avoir de l’eau au bout de quelques mois ou années. En faisant le forage de façon désordonnée, on met en contact hydraulique la partie souillée avec la partie saine. Du coup, on peut être à l’origine d’une contamination ou d’un assèchement. Nous avons constaté l’assèchement de la nappe à Bamako depuis quelques années. Supposons que deux voisins aient chacun un forage chez lui, cela veut dire que les deux captent les mêmes horizons. En faisant le pompage, les deux vont faire des appels d’eau non seulement au niveau de leur propre fosse septique, mais aussi au niveau des fosses septiques du voisinage. Ce qui va amener une pollution au niveau de ces forages. Le risque est qu’ils peuvent polluer la nappe au niveau local », explique Dr. Aboubacar Modibo Sidibé.

A Nafadji, l’assèchement que Dr. Sidibé mentionne se fait déjà sentir. Il y a trois ans en arrière, la vente des eaux du forage était un commerce florissant dans ce quartier. Aujourd’hui, beaucoup de ces familles ont été contraintes d’arrêter la vente des eaux de leur forage par manque d’eau dans le puits. D’ailleurs, le château de Maman vers lequel les femmes ont accouru après l’arrivée du courant est l’un des rares de l’entourage à continuer à vendre de l’eau. Comme Maman, Lassana avait une dizaine de branchements et vendait de l’eau à sa porte.

Cette année, à cause de la réduction de l’eau de son puits, il a dû arrêter la vente de l’eau à la porte et réduit drastiquement les branchements. Actuellement, il s’est limité à l’usage de sa famille, un branchement pour sa deuxième maison en location et un autre branchement de son voisin.

En plus, il faut creuser plus profond pour avoir de l’eau. Pour mieux comprendre cela, nous nous faisons passer pour un client. Nous contactons une société qui se fait appeler sur Facebook « Service de forage des eaux ».

Dès que nous disons à notre interlocuteur que nous souhaitons faire un forage à Nafadji, il nous prévient en ces termes : « Pour avoir de l’eau à Nafadji, il faut creuser très profond et aller au-delà des 100 mètres ». Avant de nous expliquer les différentes offres de sa société.

« Notre société est professionnelle et propose la gamme complète du forage, du creusage du puits à l’installation des équipements. Si tu veux le complet, le coût s’élève à 3 millions pour le solaire et 2 millions pour l’EDM. Le puits simple équipé de tuyaux se fait à 1,5 million. Mais, cela ne concerne que 100 mètres. Au-delà, il faudra payer 6000 F CFA à chaque mètre supplémentaire. Or, à Nafadji, il faut un minimum de 120 mètres pour avoir de l’eau », nous confie l’agent de la société Service de forage des eaux.

En bon commercial, il nous vante le professionnalisme de sa société. Cependant, il y a ce que le commercial dit et il y a ce que les exécutants font. Nous n’avons pu avoir un client de la société Service de forage des eaux pour recouper. Mais, nous avons pu avoir un commerçant, Dramane, qui vend des tuyaux de forage et son témoignage est beaucoup différent des dires du commercial.

« J’ai l’habitude de travailler avec les sociétés de forage. Je peux dire que beaucoup de ces sociétés ne mettent pas les tuyaux nécessaires dans les forages. Pour la petite histoire, un jour, une des sociétés avec lesquelles j’ai l’habitude travailler a commandé avec moi 15 tuyaux pour un forage. Lorsque je lui ai livré la commande, la société n’a retenu que trois. Un forage qui nécessite 15 tuyaux, on n’y met que trois. C’est pourquoi la plupart des forages ont des eaux boueuses après quelques mois d’usage », témoigne le commerçant.

Coût exorbitant de l’eau

Alors que la Société malienne de gestion d’eau potable (Somagep-SA) cède le mètre cube à 113 F CFA la tranche sociale, les propriétaires des forages vendent le mètre cube à 500 F CFA, soit une différence de près de 400 F CFA. Bien qu’ils exploitent un bien collectif à des fins mercantiles, ces propriétaires de forage ne paient rien à l’Etat. Celui-ci n’est même pas au courant de leur existence.

Yacouba Traoré

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’