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MALI/ELECTIONS: petits arrangements politiques entre « amis »

Cette année 2024 verra le réveil de la classe politique malienne en vue des élections générales reportées sine die et dont les dates ne sont toujours pas connues. Dans son discours de nouvel, le président de la Transition est resté muet sur la question. Tout porte à croire qu’il y a des arrangements politiques en préparation à Koulouba ou pour être plus précis à Kati avec des personnalités et partis politiques d’envergure. Décryptage.

L’affaire a fuité. L’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, pourtant très discret, a pris langue avec l’Adéma/PASJ et le RPM. L’initiative viendrait du parti de l’Abeille et surtout depuis la confirmation de son nouveau président. Les idéologues de la refondation ont dans leurs petits cartons quelques partis politiques avec lesquels ils aimeraient bien trouver des arrangements politiques sur la conjecture électorale.

Si le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga ou quelqu’un de son parti, le MPR ou de ce qui reste du M5/RFP, n’en dit pas encore mot, des observateurs se plaisent à souligner que « c’est parce qu’on ne veut pas remuer le landerneau politique trop tôt ».

Dans son discours de nouvel an, le président de la Transition s‘est limité à annoncer qu’ »au cours de l’année 2024, les efforts tendant à retourner à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé ne faibliront point » après une longue explication sur les multiples soubresauts politiques que notre pays a connus depuis l’avènement de la démocratie ; des épisodes qui « ont indiqué à suffisance la nécessité de mener des réformes politiques […] avant tout retour à l’ordre constitutionnel ».

C’est pour cela, insistera le colonel Goïta, « en toute logique et pour ancrer une véritable démocratie au Mali, nous avons estimé que cette fois-ci, l’ordre constitutionnel, désiré par les Maliens, devrait être différent des autres et être apaisé et sécurisé ».

Quelques temps seulement avant l’adresse à la nation du chef de l’Etat, l’Alliance du 22-Septembre/Faso Djo Kan, avait pris les devants pour annoncer des missions dans l’ensemble des régions du Mali et à l’étranger afin de rencontrer les populations dans le but de construire un bloc patriotique national.

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Annonce INPS

Cette plateforme politique et électorale a pris l’initiative de lancer un programme de rencontres bilatérales avec diverses forces politiques et sociales, ainsi que des personnalités d’envergure autour de son objectif ; à savoir : rassembler les forces politiques. Avec Nouhoum Sarr, membre du CNT, à sa tête, qu’on dit de plus en plus proche de Kati, on soupçonne un positionnement qui loin d’être fortuit.

Et pendant ce temps, c’est le parti Yéléma qui désignait son porte-étendard à une élection dont presque personne n’en sait quelque chose. C’était à l’issue du 4e congrès ordinaire du parti tenu à la veille de Noël. Alors que le mouvement An bi Ko de Fatoumata Batouly Niane organisait une nouvelle mobilisation monstre plus forte encore que lors de la visite du président de la Transition dans la Cité des rails.

Attente…

Et on attendrait sereinement de convenir avec « ceux qui comptent » pour annoncer les nouvelles dates. On se rappelle que le 25 septembre 2023, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement annonçait « un léger report pour des raisons techniques » des dates de l’élection présidentielle, initialement retenues du 4 et du 18 février 2024 ajoutant que « les nouvelles dates de l’élection présidentielle feront l’objet d’un communiqué ultérieurement ».

Et c’est ce rendez-vous qui met certains leaders politiques dans une grande attente pour lever le doute dans leur esprit puisque l’administration électorale était servie par « le démarrage, sur instruction de Son Excellence le colonel Assimi Goïta, président de la Transition, chef de l’Etat, des démarches administratives pour effectuer dans les plus brefs délais le basculement de notre base de données sur un autre système qui sera exclusivement contrôlé par le Mali, sans aucun risque de vol de données, ni de ‘prise en otage' ». On attend encore.

Pour préparer l’annonce du report, une réunion avec les partis politiques avait été tenue un mois auparavant pour recenser leurs propositions et les différents scénarios possibles. « A Koulouba et à Kati, on planche maintenant sur la nouvelle stratégie lénifiante des désidérata politiques éventuels », confie un analyste politique dans l’anonymat mais apparemment bien au fait des choses puisqu’il suggère l’idée « d’arrangements politiques pour mettre les ténors d’accord sur ce qui est essentiel, à savoir la consolidation de la situation sécuritaire ».

Mais un deuxième enjeu reste l’organisation des différents scrutins dans un environnement sécuritaire délétère. Le Nord n’est pas totalement sécurisé, le Centre connait toujours des attaques sur des localités symboliques, etc. L’Autorité indépendante de gestion des élections ne communique plus sur le sujet. Dans ses locaux, personne n’ose se prononcer sur une période éventuelle encore moins si des élections pourront se tenir cette année.

Le nerf de la guerre

Le troisième enjeu demeure la question financière. Il faut trouver de l’argent pour organiser les différents scrutins or, visiblement, les finances publiques ne peuvent fournir ce grand besoin d’argent et le gouvernement tient à son leitmotiv préféré « la souveraineté nationale » qui l’empêche de tendre la main.

Alors que le Conseil national de transition, faisant organe législatif, a adopté le budget d’Etat 2024, le 14 décembre 2023, l’on était surpris de noter qu’il n’y avait nulle part mention des charges afférentes à l’élection présidentielle même si le ministre des Finances évoquait la possibilité de revenir modifier le document pour y inclure les charges électorales ou de piocher cela dans l’enveloppe de la charge commune. A noter que dans la Loi de finances de 2023 les dépenses électorales étaient mentionnées à hauteur de 70 milliards de F CFA.

Des partenaires au développement auraient demandé le report des élections, apprend-on dans des confidences sourdes qui soufflent opportunément à l’oreille que « certains grands partis souhaiteraient même se donner du temps de mieux se préparer aux différentes échéances d’autant plus que le gouvernement déclare renoncer à organiser avant la présidentielle des législatives ».

Ces petits arrangements politiques entre « amis », on peut s’y attendre, créeront plus de problèmes qu’ils n’en résolvent, car ce ne sont pas les problèmes économiques ou sociaux qui créent les dictatures, c’est la faiblesse, l’incurie et l’enfermement de la classe politique qui président à leur possible montée.

Si l’histoire nous apprend une chose, c’est que la fin de la République romaine, de l’Union démocratique du peuple malien de Moussa Traoré, a d’abord été celles du rejet d’un fonctionnement certes démocratiques en apparence, mais ne répondant plus à l’essence même de la démocratie qui est de donner une voix au peuple en lui permettant de faire entendre ses divergences, ses différences et de trancher par le vote sur l’incontestabilité de la voie à suivre pour le temps édicté par la loi.

Il ne s’agit pas de dire que la majorité a toujours la raison et l’intelligence de son côté mais elle a pour elle d’entraîner l’ensemble du pays. Or le problème est que l’on ignore ce rapport de force et que l’on veut absolument rassembler. La question n‘est pas de rassembler mais d’entraîner, surtout en période de changement. Enfin soulignons que la démocratie vit dans les idées et les élocutions claires. Rassembler autour de soi des personnes aux points de vue irréconciliables, dans le but de garder le pouvoir, serait tout simplement anti-démocratique.

O.Bakel

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le focus’’