Santé : le Cancer du Rectum expliqué le Pr. Bakary T. Dembélé

Le cancer du rectum, bien que peu connu par la population, est devenu une maladie assez fréquente au Mali. Pour mieux comprendre cette pathologie, la rédaction du journal a interviewé  Bakary Tientigui Dembélé, professeur titulaire de chirurgie générale à la Faculté de médecine et d’odontostomatologie de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (USTTB), et praticien hospitalier au Centre hospitalier universitaire (CHU) Gabriel Touré, au Service de chirurgie générale. 

Le Rossignol : Pouvez-vous nous expliquer en terme simple la maladie du cancer du rectum ?

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Pr. Bakary T. Dembélé

Professeur Dembélé Bakary Tientigui. Le cancer du rectum est une pathologie maligne, c’est-à-dire qu’il y a deux groupes de pathologies : les pathologies bénignes, qui ne sont pas des cancers, et les pathologies malignes, qu’on appelle cancers.

Les pathologies malignes sont graves, car sans traitement, elles évoluent inévitablement et entraînent une désorganisation importante de l’organisme appelée métastases. Ces métastases peuvent entraîner la mort du patient, d’où le terme « maligne ».

Le cancer du rectum est donc une pathologie maligne, une néoformation comme on les appelle, car il s’agit de cellules qui se multiplient de façon anarchique et se développent au niveau du rectum. Le rectum est la partie terminale du tube digestif. L’appareil digestif comprend des organes pleins et un conduit qu’on appelle le tube digestif. Ce tube digestif a plusieurs portions, dont la portion terminale, où les selles s’entassent avant d’être expulsées lors de la défécation. Donc, il s’agit d’un cancer qui se développe à ce niveau.

Quels sont les principaux facteurs de risque ? 

Alors, il est important de connaître ces facteurs de risque, car de plus en plus, nous voyons des cancers chez des sujets jeunes. Cela nous perturbe énormément.

Autrefois, lorsque nous commencions nos études de médecine, les cancers étaient principalement diagnostiqués chez des personnes âgées, de plus de 50 à 60 ans. Mais de plus en plus, nous voyons des cancers chez des sujets jeunes, de moins de 20 à 30 ans. Les cancers du rectum ne font pas exception et se développent également chez ces jeunes patients.

Les facteurs favorisant les cancers incluent principalement la génétique et les antécédents familiaux. En dehors des cancers de l’estomac et du col de l’utérus, où des infections bactériennes peuvent être impliquées, la plupart des cancers n’ont pas de cause directe identifiable. Il s’agit généralement d’un ensemble de facteurs qui s’agrègent et s’accumulent pour provoquer le processus de carcinogenèse, c’est-à-dire l’évolution vers le cancer, qu’on appelle l’histoire naturelle de la maladie. Parmi ces facteurs, il y a déjà la sédentarité.

J’ai déjà mentionné les facteurs génétiques, comme les mutations génétiques. Il existe aussi des lésions précancéreuses, comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), notamment la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique.

Ces maladies prédisposent au développement du cancer. La sédentarité joue également un rôle, car les personnes sédentaires souffrent souvent de constipation, ce qui entraîne une stagnation des selles dans les bactéries digestives, dans les côlons. Tous ces facteurs, combinés aux facteurs génétiques, provoquent des lésions précancéreuses appelées dysplasies, qui évoluent de bas grade vers haut grade, puis vers des cancers in situ, et enfin, des cancers invasifs du rectum.

Quels sont les symptômes ? 

Les symptômes du cancer du rectum sont essentiellement la rectorragie, c’est-à-dire le saignement anal. Normalement, il ne devrait pas y avoir de sang dans les selles.

Malheureusement, avec le cancer du rectum, on peut avoir du sang dans les selles. Le danger est que d’autres maladies, comme la maladie hémorroïdaire, peuvent aussi provoquer des saignements dans les selles. C’est pour cela que ces cancers sont souvent diagnostiqués à un stade avancé.

Beaucoup de patients sont traités pour des hémorroïdes, alors qu’ils développent un cancer. Il y a de nombreuses maladies dans la sphère anorectale qui sont souvent confondues avec le cancer, ce qui fait que l’on pense à tort qu’il s’agit de maladies bénignes.

Les hémorroïdes, par exemple, sont bénignes, tandis que le patient peut développer un cancer qui progresse. Nous retrouvons souvent ces patients à des stades avancés.

En général, les gens reçoivent des traitements pour les hémorroïdes. Il est crucial d’avoir un diagnostic clair pour traiter correctement. Si nous sommes sûrs qu’il s’agit d’hémorroïdes, il existe des traitements médicaux efficaces à un stade non avancé.

Malheureusement, si la maladie n’est pas clairement identifiée comme étant des hémorroïdes, cela pose problème. Il y a aussi les fissures anales, les fistules anales, et les anithes. Il y a beaucoup de maladies dans la sphère anorectale.

Les symptômes incluent la rectorragie, également appelée hématochézie, qui est un saignement anal. Ensuite, il y a les troubles du transit intestinal : constipation un jour, diarrhée le lendemain. Ces fluctuations sont appelées troubles du transit.

Le malade peut également perdre du poids. Dans les cancers, il y a souvent une perte de poids significative, souvent de 10% du poids corporel.

Il y a aussi ce qu’on appelle le syndrome rectal, qui ressemble un peu à la dysenterie. Avec une meilleure hygiène, la dysenterie est moins fréquente dans nos grandes villes. Ce syndrome rectal inclut des sensations de tension au niveau de l’anus, des écoulements gléosanguinolents, et des sensations de corps étrangers.

Ces symptômes doivent conduire à des analyses pour diagnostiquer un cancer du rectum. Il faut consulter un médecin pour un examen complet, de la tête aux pieds, incluant un toucher rectal. Cet examen permet de détecter une tumeur jusqu’à 10 cm de l’anus, alors que le rectum mesure environ 15 cm. Si le toucher rectal ne détecte pas la tumeur, une rectoscopie est nécessaire.

La rectoscopie consiste à insérer une canule avec une caméra dans le rectum pour visualiser la lésion ou le cancer. Cela peut apparaître sous forme d’ulcération, de végétation, ou de masse. La rectoscopie peut être complétée par une colonoscopie pour examiner l’ensemble du côlon.

Lors de la rectoscopie, on prélève un échantillon de la tumeur pour une biopsie, envoyée ensuite à l’anatomo-pathologiste pour analyse. La plupart des cancers du rectum sont des adénocarcinomes, et c’est cette analyse qui permettra de confirmer le type de cancer et d’informer le patient.

Ensuite, on réalise des bilans d’extension pour déterminer le stade du cancer (précoce, intermédiaire, avancé). Ces bilans incluent des scanners, échographies et radiographies pour rechercher des métastases (localisations secondaires).

Les cellules cancéreuses peuvent se propager du rectum vers d’autres parties du corps (foie, cerveau, os) par les flux sanguins lymphatiques. Cela peut causer des tumeurs visibles, parfois jusqu’à la surface de la peau.

Après le bilan d’extension, le dossier est présenté en RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire) à l’hôpital Gabrielle Touré, tous les vendredis à partir de 10 heures. Cette réunion regroupe tous les intervenants du traitement du cancer : chirurgiens, oncologues, radiologues, anesthésistes, etc. Chaque cas de cancer est discuté pour déterminer le meilleur plan de traitement.

Parfois, la chimiothérapie est nécessaire avant la chirurgie (chimiothérapie néoadjuvante) pour réduire la tumeur. Si le cancer bloque complètement le rectum, une chirurgie palliative peut être nécessaire pour créer une dérivation des selles (anus iliaque) avant d’entamer la chimiothérapie et, ensuite, la chirurgie définitive.

Quelles sont les mesures préventives ? 

Donc, comme la cause exacte n’est pas clairement établie, ce sont des facteurs favorisants qu’il faut surveiller et prévenir. Un malade atteint de MICI, c’est-à-dire d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, doit être suivi correctement par les médecins, les gastroentérologues et autres spécialistes.

L’exercice physique permet d’éviter la sédentarité. Pour les problèmes oncogénétiques, c’est souvent difficile dans nos contextes. Si c’est familial, si c’est dans les gènes, il faut souvent surveiller ces patients de près.

L’exercice physique aide aussi à lutter contre la constipation. Il est crucial de faire un diagnostic correct des hémorroïdes pour les traiter adéquatement, au lieu de traiter un cancer en pensant qu’il s’agit de simples hémorroïdes. C’est là que résident les grands soucis et dangers.

Quels sont les traitements disponibles ? 

Tous ces traitements sont actuellement disponibles au Mali. La chirurgie est pratiquée dans des grands centres comme Gabriel Touré et le Point G, ainsi que dans des structures privées.

Nous avons des oncologues au Point G et dans des structures privées, bien établis pour administrer la chimiothérapie. Les oncologues sont ceux qui administrent la chimiothérapie.

Le traitement consiste à commencer par la chimiothérapie, puis la chirurgie, suivie à nouveau de chimiothérapie. Les histopathologistes, qui sont des pathologistes spécialisés en anatomopathologie, sont ceux qui font les diagnostics.

Quand on effectue une biopsie, les échantillons sont envoyés aux pathologistes, qui déterminent si c’est un cancer ou non. Aucun médecin ne doit diagnostiquer un cancer sans avoir le rapport d’oncologie.

Quel conseil avez-vous à donner ?

Actuellement, le conseil est qu’il faut faire très attention. Avant, ces cancers n’étaient pas si répandus, mais de plus en plus, on les voit et on les diagnostique.

Il faut manger sereinement et sainement, faire de l’exercice physique, et faire attention à tout ce qu’on mange et à tous les médicaments que l’on prend.

Essayer de vivre sainement est essentiel. Et dès qu’il y a une simple pathologie, il faut consulter un médecin. L’objectif est d’éliminer toute possibilité de maladie grave, puis de gérer le reste.

Y a-t-il des développements récents dans le domaine médical ou des innovations techniques dans le monde ? 

Exactement. Ailleurs, il y en a énormément. Dans le domaine des cancers, il y a beaucoup d’innovations. En chirurgie, par exemple, il y a la chirurgie robotique qui permet aux chirurgiens de travailler de manière plus détendue et précise.

Cela existe-t-il au Mali ? 

Non. Non.Les robots sont présents en Afrique du Sud, en Égypte, et peut-être récemment au Maroc. C’est toute l’Afrique. Il y a aussi des scanners avancés appelés PET scans qui permettent de détecter les lésions microscopiques.

Ensuite, dans le domaine de l’oncogénétique, il y a de grands progrès. On peut analyser toute ta lignée génétique pour identifier les gènes qui pourraient causer un cancer chez toi, tes enfants, ou tes petits-enfants. C’est ce qu’on appelle la recherche du syndrome de Lynch.

Il y a également ce qu’on appelle les thérapies ciblées. C’est un avantage majeur. Les thérapies ciblées sont adaptées aux personnes spécifiques.

Vous trouverez dix personnes avec dix cancers différents. En faisant des recherches biomoléculaires et oncogénétiques, on découvre que ces dix personnes ont globalement le même type de cancer, l’adénocarcinome, mais avec des spécificités différentes. On leur donne alors des traitements ciblés, chacun adapté à son cas particulier.

C’est cela l’innovation réelle en matière de cancer, et surtout pour les cancers du rectum.

En conclusion, la santé est un peu en retard car elle n’apporte pas grand-chose en termes de finances. C’est cela le gros problème.

C’est pour cela qu’elle est laissée un peu de côté. Cela ne génère pas d’argent. Il faut donc investir de l’argent dans la santé.

Quelqu’un doit payer pour la santé. C’est très coûteux. Soit l’État paie, soit la population paie.

C’est à l’État de faire ce choix.

Mariam dite mama Diarra

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Rossignol’’