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INONDATIONS/MALI : qu’avons-nous fait au bon Dieu ?

Suite aux nombreuses inondations qui ont fait des dizaines de morts et près de 50 000 sinistrés depuis le début de la saison des pluies, le gouvernement du Mali  a déclaré, vendredi 23 août dernier, l’état de catastrophe nationale lors d’un conseil des ministres extraordinaire. Après les affres de la guerre, les épouvantes de l’insécurité, les désastres de la gouvernance, le peuple est plongé dans les drames climatiques. Comme si tous les éléments de la nature se liguent contre nous en plus des agissements délibérés de certains dirigeants nous nous demandons, à juste titre, qu’avons-nous fait au bon Dieu ?

Nous sommes en 2015. Dix-neuf experts de la région, travaillant dans les domaines de l’adaptation au changement climatique, de la gestion des ressources naturelles, de la prévention des conflits et d’autres secteurs pertinents, étudient, de façon prospective, les impacts du changement climatique sur le commerce, les investissements, le développement durable et la sécurité dans les trois pays du Sahel, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger, afin de fournir des informations utiles pour l’élaboration des politiques et améliorer la coopération interrégionale.

Ils élaborent trois scénarios qui visent plutôt à donner un aperçu des différents avenirs possibles, à donner une base aux politiques et stratégies d’adaptation et à sensibiliser les décideurs et les parties prenantes du Sahel face à l’incertitude des conditions climatiques, sociales, politiques et économiques dans la région.

La même année, sort un livre intitulé « Nouvelles lectures du Coran » qui fait un lien entre le « grand châtiment divin » dans le Coran et d’autres récits religieux plus anciens. « En dépit des apparences, le Coran recèle un nombre considérable d’informations inédites sur la Sodome biblique. Son apport est essentiellement de deux ordres : tout d’abord une édification spirituelle qui signale la cité du peuple de Loth comme un exemple représentatif de toutes les fois où Dieu a corrigé, corrige ou corrigera une communauté qui s’est livrée au mal sans aucune retenue, ensuite une « leçon d’histoire sacrée » qui invite à comprendre qu’il n’y a pas de dichotomie entre la réalité immanente et la Vérité divine.

Dans cette perspective, le texte coranique se fonde sur un certain nombre de realia, en principe vérifiables par ses lecteurs, qui portent d’une part sur les causes physiques de la disparition de « la cité » : tremblement de terre et éruption volcanique, d’autre part sur la localisation précise de son emplacement entre Via Nova Traiana et chemin caravanier de la mer Morte.

Voilà, ce qu’écrivait en 2015 Geneviève Gobillot dans ses nouvelles lectures du Coran. Dans le chapitre consacré aux corrections divines et leurs significations dans le Coran, l’auteur écrit que le peuple de Loth est cité dans presque toutes les « listes » de communautés ayant subi le « grand châtiment » divin (ʿaḏāb) dans lesquelles se côtoient des peuples arabes, comme les ʿĀd et les Ṯamūd, et des populations mentionnées dans la Bible, comme les Madianites et les Gens de Pharaon.

Si dans l’étude « Changement climatique, vulnérabilité et sécurité au Sahel/Trois scénarios pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger à l’horizon 2050 », on a mis l’accent sur l’évolution future des conditions socio-économiques et politiques de la région qui détermineront la vulnérabilité et la résilience des communautés sahéliennes face aux impacts climatiques, il est tout à fait loisible de constater que dans « Nouvelles lectures du Coran », le texte coranique se fonde sur un certain nombre de realia, en principe vérifiables par ses lecteurs, qui portent les causes physiques de la disparition de « la cité » dont les dégâts des eaux.

Un fait de Dieu

En effet, concernant le cas des peuples corrigés par Dieu, la démarche du Coran consiste à regrouper tous les événements de la même catégorie en une synthèse permettant de rendre compte de manière précise des modalités de la justice divine. Les versets 75 et 76 de la sourate 23, en particulier, soulignent la différence entre deux degrés de rétributions terrestres (ḍurr : préjudice et ʿaḏāb : grand châtiment) et les distingue ensuite du « châtiment terrible » de l’autre monde (ʿaḏāb šadīd) : « Si nous leur faisons miséricorde en écartant d’eux [les Arabes auxquels s’adresse le Messager coranique] le préjudice (ḍurr) qui leur était destiné, ils continuent à marcher aveuglément dans leur rébellion (76). Nous leur avons même fait goûter le grand châtiment (ʿaḏāb), mais ils ne sont pas revenus à leur Seigneur et ne se sont pas humiliés (77). Ils ne le feront que lorsque nous aurons ouvert pour eux la porte du châtiment terrible [de l’Enfer] (ʿaḏāb šadīd), alors ils seront désespérés ».

Ce passage fait donc état d’une échelle des châtiments divins, classés par ordre croissant de gravité. De fait, si l’on examine tous les cas dans lesquels il est question de ḍurr, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une sorte de « moindre correction ici-bas » au cours de laquelle les hommes se trouvent soumis à des épreuves plus ou moins douloureuses. Ils doivent faire face à des difficultés temporaires ou à des changements de situation qui leur servent d’avertissement, sans toutefois entraîner leur disparition, comme en témoigne le verset (6, 42) : « Nous avons adressé avant toi des envoyés à diverses communautés, puis nous les avons frappées par des violences humaines (baʾsāʾ ) et des préjudices naturels (ḍarrāʾ ). Peut-être vont-ils s’humilier [ceux à qui tu es envoyé : les Arabes] ».

Allant dans le même sens, le passage (10, 106-107) invite, à travers une réflexion sur le préjudice causé par Dieu, à s’élever du niveau de l’existence terrestre à celui de la vie future, qui ne peut être espérée que si l’on a reçu le pardon divin : « (106) N’invoque pas, en dehors de Dieu, ce [les idoles] qui ne te cause ni utilité, ni préjudice. Si tu agissais ainsi, tu serais au nombre des injustes. (107) Si (sous-entendu : par contre) Dieu t’atteint par un préjudice (ḍurr), nul ne l’écartera de toi, sauf lui. S’il veut pour toi un bien (ḫayr), pas d’obstacle à sa faveur. Il atteint par lui [le bien] qui il veut parmi ses serviteurs. Il est celui qui pardonne, il est miséricordieux ». Cet extrait contient trois sujets de méditation qui se complètent mutuellement.

Le premier porte sur la différence entre le vrai Dieu et les idoles. Il invite à comprendre qu’il ne suffit pas, pour être dans la voie de la Vérité, de constater l’impuissance des fausses divinités et d’abandonner leur culte. Il faut encore comprendre que seul l’unique Dieu vivant est en mesure de distribuer aux hommes utilité et préjudice, et que son pouvoir ne connaît que les limites qu’Il fixe lui-même. Une telle prise de conscience implique la reconnaissance du fait que nul ne peut se substituer à Lui en prétendant décerner en Son nom châtiments et faveurs.

Le deuxième est l’expression du fait que si Dieu a décrété un préjudice, Lui seul peut, s’Il le veut, l’écarter de son destinataire, comme dans le cas des Arabes, mentionné en (23, 75). En revanche, pour ce qui concerne le bienfait (ḫayr), nul, absolument, y compris lui-même, ne s’opposera à ce qu’il parvienne à son bénéficiaire : « Pas d’obstacle à sa faveur (lā rādda li-faḍlihi) », détermination que corrobore la fin du verset : « Il est celui qui pardonne, il est miséricordieux » qui rappelle qu’il est de son essence de prodiguer pardon et miséricorde.

Cette formulation est particulièrement éclairante au sujet de la notion de qaḍāʾ wa-qadar (décret divin et prédestination) très tôt déduite par les théologiens musulmans de certains passages coraniques. Elle invite à réaliser que Dieu est, dans l’exercice de sa providence miséricordieuse, le seul maître du destin au sens où il peut tout aussi bien modifier ce qu’il a décrété, lorsqu’il s’agit d’une cause de souffrance pour ses créatures, que décider qu’il n’y changera jamais rien, lorsqu’il s’agit d’une cause de bonheur pour elles. En d’autres termes, la seule situation qui leur est prédestinée sans revirement possible est la jouissance des bienfaits divins. Ainsi, son Décret, tout en étant l’expression de sa Volonté impérative, que nul n’est en droit de remettre en cause, revêt en toutes circonstances la forme la plus favorable qui puisse être envisagée pour les hommes, comme l’avaient compris les muʿtazilites.

Un fait des hommes

Revenons à l’étude « Changement climatique, vulnérabilité et sécurité au Sahel/Trois scénarios pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger à l’horizon 2050”. En se projetant jusqu’en 2050, ce document présente trois scénarios pour la partie du Sahel comprenant le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Chaque scénario est caractérisé par un niveau différent de vulnérabilité et de résilience face aux effets futurs du changement climatique, ce en fonction des paramètres sociaux, politiques et économiques qui le caractérisent. En effet, la productivité agricole, les infrastructures, le commerce, les systèmes de sécurité sociale, les institutions, et les systèmes de gestion des ressources et des conflits sont des facteurs essentiels à prendre en compte à cet égard, tout comme les opportunités économiques et les relations sociales et intercommunautaires de manière plus générale.

Ainsi, le premier scénario représente une trajectoire de développement conforme aux paradigmes actuellement dominants sur le développement tandis que le second décrit une stagnation du développement marquée par l’insécurité et une vulnérabilité accrue aux effets du changement climatique et que la troisième présente une trajectoire de développement alternative axée sur l’inclusion sociale et la durabilité environnementale.

Nous nous intéressons spécifiquement au scénario 2 intitulé « Chacun pour soi » un scénario qui décrit un futur marqué par la stagnation économique, l’insécurité et une vulnérabilité accrue aux effets du changement climatique.

Selon, les auteurs on assisterait là à des bénéfices liés aux réformes agricoles et aux investissements dans l’irrigation et d’autres infrastructures qui profitent à quelques grands producteurs et laissent de côté les petits exploitants, et notamment les groupes minoritaires. Ces derniers seront devenus encore plus vulnérables aux chocs de production provoqués par le climat, à la perte de leurs moyens de subsistance et à l’insécurité alimentaire. La dégradation continue des terres et des écosystèmes accentue la vulnérabilité de la région.

Il pourrait se passer une sorte d’inefficacité des institutions qui rendrait difficile la gestion des ressources et la résolution des conflits. Le rôle des autorités traditionnelles et locales aurait été dévalorisé, et il existerait des conflits entre les normes coutumières et formelles. La compétition pour l’accès aux ressources alimente les conflits, qui sont aggravés par les pressions et les chocs climatiques. La corruption, l’inefficacité de la gestion des ressources et de la résolution des conflits, ainsi que les inégalités sociales croissantes entraînent une fracture sociale.

Ce scénario voit l’influence des groupes armés et des activités illicites s’accroître, notamment aussi à cause des impacts climatiques sur les moyens de subsistance des populations rurales dont beaucoup, migrant vers les villes ne pourront adopter les règles de la vie dans la vie dans la cité.

Pour parler trivialement on construit n’importe où et n’importe comment. On déverse les déchets ménagers dans les caniveaux  qui seront bouchés. Les autorités publiques agissent peu en faveur de l’intérêt général et les institutions sociales. Le système judicaire est toujours défaillant. La corruption est omniprésente.

De ce fait, il est difficile pour une grande partie des citoyens d’accéder aux services publics (eau, santé, éducation, etc.) et les filets de sécurité sociale sont faibles. Seules les élites proches du pouvoir politique peuvent s’offrir une bonne éducation et des services de santé de meilleure qualité. Les disparités sociales et économiques se sont accentuées.

Ce n’est pas tout. Pour les auteurs, les gouvernements de la région ont porté leur attention sur les questions de sécurité, ce qui a entraîné une augmentation des dépenses militaires. En revanche, le manque d’efficacité des institutions rend la gestion des ressources et la résolution des conflits difficiles. Le rôle des autorités traditionnelles et locales a été dévalorisé.

L’augmentation de la productivité agricole et la priorité donnée aux grands producteurs ont été accompagnées d’une grande vague de privatisation des terres et de développement de partenariats public-privé. Cette privatisation marginalise les utilisateurs coutumiers et a renforcé l’empiètement agricole sur les terres pastorales. L’accès à la terre est surtout difficile pour certains groupes (en particulier les femmes, les petits éleveurs et les migrants). Cette évolution a entraîné à plusieurs reprises des soulèvements de la population rurale et des troubles sociaux dans les villes…

Un scénario catastrophe? Non pas tout à fait. Mais, à regarder ce qui passe sous nos yeux, il est à souhaiter que nous puissions nous ressaisir puisque face à cette crise humanitaire sans précédent, toutes les forces vives de la nation sont interpellées en plus du gouvernement qui a lancé un appel à la solidarité nationale invitant surtout les acteurs économiques et la communauté internationale à apporter leur contribution pour venir en aide aux populations sinistrées.

O. Bakel (Source: l’hebdoadaire malien  »Le Focus »)