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AES-CEDEAO : duel diplomatique à distance

Ce week-end aura été celui d’une confrontation diplomatique et idéologique à distance entre les chefs d’Etat de l’AES et de la Cédéao. Samedi 6 juillet 2024, étaient réunis à Niamey, au Niger chez le général Abdourahamane Tchiani, le colonel Assimi Goïta du Mali et le capitaine Ibrahima Traoré du Burkina Faso, pour le tout premier sommet de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Le lendemain, Bola Tinubu du Nigeria recevait, lui, ses homologues de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest dans le cadre d’un sommet ordinaire. Les relations se sont compliquées entre les deux regroupements, depuis l’avènement des coups d’Etat dans les trois pays du Sahel qui ont décidé de quitter l’organisation sous-régionale et ont acté samedi la création d’une Confédération.

La principale conclusion du sommet de Niamey, tenue samedi entre les chefs d’Etat du Burkina, du Mali et du Niger, a été le divorce désormais acté d’avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest et la création d’une confédération entre leurs trois Etats. Au moment où nous mettions sous presse, hier dimanche, celles d’Abuja ne nous était pas encore connues.

Niamey aura donc finalement fait une douche froide à Abuja où l’on a encore inscrit à l’ordre du jour du sommet ordinaire, un éventuel mais improbable retour des pays de l’AES au sein de la Cédéao. Pour rappel, il a été décidé, à l’issue de la 2e session extraordinaire du Parlement de la Cédéao, tenue du 20 au 25 mai dernier à Kano, au Nigeria, la création d’une commission ad-hoc de facilitation, de médiation et de réconciliation dans le but de trouver des compromis entre les Etats désireux de quitter l’organisation sous-régionale et les instances dirigeantes de la Communauté.

Le 30 mai dernier encore, le chef de l’Etat sénégalais Bassirou Diomaye Faye s’est rendu au Mali et au Burkina Faso pour espérer renouer le dialogue avec les pays concernés pour parvenir à un compromis.

L’agenda paraît bizarre, pour ne pas dire vindicatif. En tout cas, il serait dû à tout sauf au hasard. Des informations recoupées dans les chancelleries des trois pays fondateurs de l’Alliance des Etats du Sahel, il ressort que le rendez-vous de Niamey a été pris dès que la convocation du sommet ordinaire des chefs d’Etats de la Cédéao a été connue.

« Vous n’êtes pas sans savoir que depuis un certain temps, tout le monde entier, en bilatéral comme en multilatéral, tente de faire revenir nos Etats au sein de la Cédéao », déclare un conseiller diplomatique de Bamako rencontré récemment à Bruxelles lors d’une réunion de plusieurs chefs de la diplomatie mondiale autour de la thématique « Les Etats généraux du monde ».

En marge de la 36e édition du Forum Crans Montana tenue du 26 au 28 juin 2024 dans la capitale belge également considérée comme la capitale de l’Union européenne, le ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération étrangère, a eu un entretien avec le Groupe africain des ambassadeurs au sujet de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) en vue de favoriser une meilleure compréhension de cette nouvelle Alliance qui change désormais la configuration géopolitique de la sous-région ouest-africaine.

On retiendra des déclarations d’Abdoulaye Diop, au nom des ses homologues du Niger et du Burkina Faso que « l’Alliance des Etats du Sahel, ambitionne de proposer une alternative qui ne soit pas pilotée par l’extérieur, une organisation qui ne devient pas un danger pour ses membres, pour ses populations, un regroupement qui veut désormais travailler à rapprocher ses populations tout en mettant en place une autre façon de faire ».

Point de non-retour

En qualité de porte-parole des chefs de la diplomatie des Etats du Sahel, le malien a affirmé que « notre différend avec la Cédéao, ce sont d’autres qui nous distraient. La Cédéao va continuer son parcours, on va se parler. On va identifier des moyens de coexistence. Le sort de nos pays ne va pas se décider à Bruxelles, Paris, Washington ou à Londres. Ça se décidera à Bamako, à Ouagadougou, à Niamey. Avec ou sans vous, nous allons avancer. Si les Européens ne sont pas là, les Chinois seront là, les Russes seront là, les Australiens seront là. Aujourd’hui, on n’est mariés à personne ».

Face à une Cédéao affaiblie, l’AES profitait de ce premier sommet à Niamey pour afficher sa détermination à tracer sa propre voie surtout que les opinions publiques sont hostiles à la Cédéao, considérée comme plus encline à condamner les coups d’Etat que les présidents qui modifient la Constitution de leur pays pour se maintenir au pouvoir. Certains n’ont pourtant pas perdu espoir quant à un potentiel réchauffement des relations entre l’AES et la Cédéao.

A l’ouverture du sommet, le chef de l’Etat nigérien a affirmé que les peuples de son pays et de ses deux voisins avaient « irrévocablement tourné le dos à la Cédéao ». Devant ses homologues burkinabé et malien, le général Abdourahamane Tchiani a appelé à faire de l’AES une « alternative à tout regroupement régional factice en construisant une communauté souveraine des peuples, une communauté éloignée de la mainmise des puissances étrangères », soulignant que « l’AES constitue le seul regroupement sous-régional efficient dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la Cédéao ayant brillé par son déficit d’implication dans cette lutte ».

Avant lui, le capitaine Traoré avait estimé que l’Afrique continuait de « souffrir du fait des impérialistes ». « Nous mènerons une guerre sans merci à quiconque osera s’attaquer à nos Etats », a-t-il ajouté.

Assimi Goïta a lui assuré que les armées des trois pays « opèrent en totale complémentarité face aux attaques terroristes ».

Pour Niamey, Bamako et Ouagadougou, ce sommet est une étape essentielle dans l’affirmation et la consolidation de l’AES comme cadre politique dont l’ambition n’est pas seulement de vaincre les groupes terroristes mais encore et surtout de jeter les bases d’une Confédération établie au sein du Sahel.

Selon un communiqué du gouvernement burkinabé publié à la veille du sommet, les experts des trois pays ont déjà élaboré un traité portant création d’une Confédération et ont également formulé des propositions pour une architecture institutionnelle de l’AES qui devrait lui permettre de fonctionner efficacement. Ce sommet sera donc l’occasion pour les délégations des trois pays de donner corps à la nouvelle institution qui, dès l’annonce de sa création, était perçue par certains comme une décision prise sous le coup de l’émotion.

Le sommet historique a marqué l’activation officielle de l’AES, une organisation régionale créée par les trois pays en vue de mutualiser leurs efforts de lutte contre l’insécurité et de promouvoir le développement socio-économique dans la région du Sahel. Des décisions importantes ont été prises pour l’avenir de l’AES et de la région du Sahel. Le sommet marque un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme et la pauvreté.

En attendant plus de détails sur les conclusions aussi bien à Niamey que du côté d’Abuja qui a déjà reçu la réponse quant au retour des Etats du Sahel au sein de l’organisation sous-régionale commune, on notera qu’une réforme du modèle de fonctionnement de la Cédéao tout comme de ses instruments, notamment de son protocole pour la gouvernance, une révision du régime des sanctions, des modalités d’usage de la force, s’imposent, comme le préconise un rapport récent de l’Institut d’études de sécurité dont le chef du projet,  Fahiraman Rodrigue Koné, a déclaré à propos du document que « c’est une réflexion collective des chefs d’État qui doivent être également les porteurs de ce changement, en posant des actes qui vont dans le sens du respect des principes et des normes démocratiques de l’institution ».

O. Bakel

Source : l’hebdomadaire malien  ‘‘Le Focus’’