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EVACUATION DE LA VOIE PUBLIQUE/Mali : le combat de façade de la Dubope

Les éléments de la direction urbaine du bon ordre et de la protection de l’environnement (Dubope) sont de plus en plus visibles sur le terrain à travers des opérations d’évacuation de la voie publique. Cette nouvelle dynamique laisse croire à une montée en puissance de ce service technique de la mairie du district. Sauf que cette celle-ci se fait à double vitesse. Pendant que des éléments de la Dubope s’acharnent sur certains occupants de la voie publique, ils ferment les yeux sur d’autres. Pour mieux comprendre cette justice à géométrie variable, nous vous convions au Grand marché de Bamako. Reportage.

Il est 11 h passées de 30 minutes ce vendredi  1er mars 2024. Le soleil est presqu’au zénith. Mais, la chaleur est tenable. Les rayons solaires sont moins violents et moins brûlants que d’ordinaire à cause de la brume de poussière qui couvre le ciel bamakois.

Nous faisons une petite incursion au Grand marché pour comprendre les tenants et les aboutissants du déguerpissement de la voie publique par les éléments de la direction urbaine du bon ordre et de la protection de l’environnement (Dubope), communément appelés « Bamani-saba ».

Nous sommes guidés par quelqu’un. Avant ce dernier tenait son petit commerce au Grand marché sur un trottoir. Il ne pratique plus cette activité. Il est remonté contre les éléments de la Dubope qu’il accuse de mener un déguerpissement de la voie publique à double vitesse. Il accepte de nous guider mais sous couvert d’anonymat. « Je ne veux pas être cité nommément parce que beaucoup d’agents de ‘Bamani-saba’ me connaissent », suggère-t-il. Nous le désignons donc par les initiales B. T.

Nous prenons le départ au rond-point (les feux tricolores, Ndlr) de l’hôpital Gabriel Touré. Juste derrière les policiers, à gauche, du côté nord de l’Assemblée nationale, plusieurs vendeurs occupent la voie ferrée et tout l’espace de sécurité. A quelques mètres d’eux, à l’angle nord-ouest de l’hémicycle, se trouve un poste de la Dubope.

Notre arrivée au poste coïncide avec la sortie de quelques brigadiers à pied. B. T. nous demande de les suivre. A cette heure, la circulation est fluide. Hormis quelques usagers et des vendeurs ambulants qui occupent la route, les autres se contentent derrière la clôture autoroutière, qui sépare de quelques mètres la route du mur de l’Assemblée nationale.

Cependant, les brigadiers dépassent les occupants de la route comme s’ils ne les voyaient. B. T. nous explique qu’ils ont sûrement « arrangé » le poste. « Tous les vendeurs que vous voyez, qu’ils soient sur la route ou derrière les clôtures, ils paient chaque matin 500 F CFA au poste de ‘Bamani-saba’. Sinon, s’ils prennent des marchandises et l’amènent au poste, vous paierez 1000 F CFA pour les récupérer et ils ne donnent pas de reçu », précise notre guide.

Nous continuons de suivre les brigadiers. Arrivé à l’intersection, aux feux tricolores, à l’angle sud-ouest de l’hémicycle, la situation change. Les vendeurs sont très avancés sur la route qui semble bloquée. Les éléments de la Brigade urbaine que nous suivons passent à côté d’eux comme si de rien n’était. Nous sommes abasourdis. Notre guide réitère ses propos.

Dans ses explications, il s’affiche de plus en plus imprudent. Il gesticule et pointe du doigt les brigadiers au point que certains d’entre eux se retournent pour nous regarder. Nous lui demandons de changer la route pour éviter des ennuis.

BT. souligne que ce tronçon fluide sera tout occupé et impraticable dans l’après-midi. « Cette partie fluide n’est que du tape-à-l’œil. Ils évacuent le matin. Mais, ils vont l’ouvrir dans l’après-midi moyennant 500 F CFA par vendeur. Revenez voir dans l’après-midi, vous trouverez que tout est occupé », assure B. T.

Notre interlocuteur nous amène faire le tour de l’Assemblée nationale. Tout le trottoir de la devanture jusqu’au côté est de l’institution est évacué. Cependant, les bordures de la route sont occupées de l’autre côté. « Vous voyez ! Tous ces trottoirs étaient occupés avant. Maintenant, ‘Bamani-saba’ a tout évacué parce que les occupants des trottoirs de l’Assemblée payaient aux gardes de l’institution », explique B. T.

Dans les parages, il nous montre son ancienne place. « A cette place, lorsque j’étais là, je collectais l’agent d’un certain nombre de vendeurs par semaine et envoyais la somme à un responsable de la Brigade urbaine. La somme faisait 10 000 F par semaine. Cela continue jusqu’à présent. Quelqu’un d’autre le fait à ma place. Avant, je l’envoyais au responsable des gardes de l’hémicycle », poursuit-il.

Pour nous prouver le racket des « Bamani-saba », B. T. taquine un vendeur de sac, un adolescent. Il lui tire derrière et prononce à haute voix « Bamani-saba ». En réaction, l’adolescent tente de fuir avant de comprendre que c’est une blague.

« Quand ils te prennent, tu es obligé de payer 500 F pour qu’ils te libèrent. Quand tu paies, ils écrivent ton nom dans leur cahier. On paie les 500 F CFA chaque jour pour mener tranquillement notre activité. Je n’ai pas encore payé aujourd’hui, c’est pour cela que je voulais fuir », témoigne l’adolescent. Nous nous séparons après quelques tours.

Le bon ordre à l’épreuve du racket

Nous décidons de vérifiez les dires de B. T. dans l’après-midi. A 15 h 45, nous prenons la principale voie qui traverse le Grand marché. Cette voie commence à partir du rond-point du square Patrice Lumumba, traverse le marché et mène jusqu’au rond-point de l’hôpital Gabriel Touré. C’est une route à 2×2 voies. La voie à droite est réservée aux Sotrama. Les autres usagers utilisent l’autre voie à gauche.

Sur celle-ci, la montée en puissance de la brigade urbaine est vraiment invisible. Elle se transforme en marché de légumes dès le départ. Une bonne moitié de la route est occupée par les marchands de légumes. Un peu plus loin, au niveau de l’immeuble Nimaga, ce sont des « Telimani » et des tricycles qui occupent la bonne partie de la route.

Après eux, des vendeurs prennent le relais. Et tous les deux anneaux de la voie sont concernés. La situation devient pire à partir des feux tricolores de l’INA. Là, les vendeurs exposent leurs produits en plein milieu de la voie. Les usagers ont du mal à passer. C’est le désordre total. Au niveau de l’Assemblée nationale, c’est pire.

Ce n’est plus la voie fluide que nous avons empruntée ce matin. La circulation est totalement coupée à partir de l’intersection de l’Assemblée nationale jusqu’à une trentaine de mètres en profondeur en allant vers l’hôpital Gabriel Touré. C’est exactement comme nous l’avait décrit B. T. Pourtant, à 16 h 02, la Brigade urbaine est encore en activité. Nous croisons l’un de leurs véhicules de patrouille au niveau du rond-point. Si tous ces occupants payaient 500 F CFA comme l’a affirmé B.T, cela ferait un paquet d’argent.

Or, ailleurs des agents de la Dubope mènent la vie dure à d’autres occupants. Il s’agit notamment des conducteurs de « Telimani » qui paient le stationnement, quelques véhicules particuliers mal stationnés, des vendeurs de bananes et de lunettes sur les trottoirs. Avec une telle stratégie de lutte à double vitesse, la direction urbaine du bon ordre et de la protection de l’environnement ne viendrait jamais à bout de l’occupation illicite de la voie publique.

Nous avons tenté de recouper l’information au niveau du service de communication de la mairie du district de Bamako. Mais, notre sollicitation n’a pas reçu de réponse positive jusqu’au moment où nous mettions sous presse.

Yacouba Traoré

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’