https://lindiscret.net/wp-content/uploads/2024/03/Monnaie-nationale-Mali.jpg

MONNAIE NATIONALE : Deux ténors politiques maliens conseillent la prudence

Face au débat de rue sur les questions de création d’une nouvelle monnaie et de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le M5-RFP Mali Kura a organisé une conférence débat sur le sujet et qui a regroupé des experts en économie et des hommes politiques qui ont exercé de hautes fonctions dans le pays. Lors de cette rencontre d’échange, plusieurs leaders du M5-RFP Mali Kura ont émis des réserves quant à la création d’une nouvelle monnaie.

Konimba Sidibé, économiste : « Il ne faut pas créer la monnaie sur la base de la propagande « 

La création d’une monnaie nationale ou de l’AES fait aujourd’hui débat. Homme politique et économiste, Konimba Sidibé souligne qu’il faut réfléchir plusieurs fois avant quitter le CFA au profit d’une monnaie nationale ou de l’AES. Selon M. Sidibé, membre du M5-RFP Mali Kura, il y a beaucoup de fausses idées qui entourent le débat actuel sur la création d’une monnaie nationale ou de l’AES. Ainsi, il a jugé nécessaire de les éclaircir pour mieux édifier les Maliens.

La première fausse idée, selon lui, est de dire que tous nos échecs viennent du F CFA. « Deux arguments sont mis en avant pour cela essentiellement. Le premier est la fixité de la parité depuis que le CFA existe. Le deuxième est de dire qu’on nous a empêchés de développer notre propre politique monétaire qui permettrait de relancer la croissance. C’est une fausse idée. La monnaie n’est qu’un élément parmi d’autres dans le développement d’un pays. La gouvernance est une globalité et c’est la qualité de cette gouvernance qui détermine l’évolution d’un pays.

Certains pensent qu’on pourra faire ce qu’on veut quand on aura notre propre monnaie. Cela est faux. On ne peut jamais faire ce qu’on veut en matière monétaire parce qu’il y a des problèmes à gérer. Si on fait ce qu’on veut avec la monnaie, on finira par le payer très cher. Un exemple revient couramment. Il dit que le fait qu’on ne puisse pas créer de la monnaie pour financer notre déficit budgétaire est un inconvénient. Cela est une contrainte indépassable. Même si nous avions notre propre monnaie, si nous avons recours à la planche à billet pour financer nos déficits, notre économie s’effondrera. Donc être dans le CFA ou ne pas être dedans n’est pas important à ce niveau. Par exemple, notre pays a du mal à financer le carburant de l’EDM, supposons que nous ayons notre propre monnaie. L’Etat va demander à la Banque centrale de donner cent milliards à EDM par mois. La Banque centrale allait le faire. Le problème de l’électricité aurait été résolu. Mais les conséquences sur l’économie nationale et l’évolution allaient être graves.

L’autre idée est relative à l’or. Beaucoup disent que le pays produit suffisamment d’or et que nous pouvons créer notre propre monnaie qui pourrait être garantie par l’or. D’abord, c’est faux de dire que nous avons l’or. L’Etat malien n’a pas d’or. L’or appartient aux sociétés qui l’exploite. Le Mali a sa part à travers les actions. Mais, dire que la totalité des productions d’or du Mali nous appartient et que nous pouvons nous en servir pour garantir notre monnaie est archi faux. D’ailleurs, il n’existe aucun pays au monde capable de garantir la convertibilité de sa monnaie par l’or. Il suffit de se rappeler du cas des Etats-Unis qui, en 1945, détenaient la moitié des réserves d’or du monde à leur Banque centrale. Mais en 1971, ils ont été incapables d’assurer la convertibilité du dollar en or. Ils ont fait une conférence pour dire qu’ils ne convertiront plus le dollar en or parce qu’ils n’en ont plus les moyens. Cela doit servir de leçon. Il signifie que ce n’est pas l’or qui va garantir la monnaie. Mais plutôt la solidité de l’économie et la solidité de la gouvernance. Je ne suis pas contre la création d’une monnaie nationale. Nous devons jouir de notre souveraineté monétaire totale. Mais, il ne faut pas le faire sur la base de propagande ».

Modibo Sidibé, président des Fare : « L’AES et la Cédéao sont compatibles  »

L’autre débat qui anime l’actualité est le processus de retrait des pays de l’AES de la Cédéao. Sur la question, l’ancien Premier ministre, Modibo Sidibé, pensent que les deux institutions sont compatibles.

« La monnaie commune sous-régionale était l’initiative de notre pays. Cette décision a été prise pendant les deux ans du mandat du Mali à la Cédéao et à l’Uémoa. Ces deux années du Mali ont permis d’accélérer l’intégration. Aujourd’hui, est-ce que le Mali a discuté et rediscuté pour dire que nous voulons une monnaie nationale ? Je ne pense pas que oui. Je vois la vitalité et le dynamisme qui est dans une monnaie régionale en marche avec la Zlecaf. La vision stratégique défendue par le Mali c’était la marche vers la Fédération des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Il n’y a pas d’incompatibilité entre l’AES et la Cédéao. L’AES peut exister au sein de la Cédéao et peut être un complément politique, sécuritaire du Liptako-Gourma. Il faut qu’il y ait un débat profond sur notre avenir, notre vision sur l’Afrique de l’Ouest et de l’Union africaine. Pour moi, l’espace c’est la Cédéao. Maintenant qu’il y a des problèmes de gouvernance contextuelle à la Cédéao ne veut pas dire qu’on doive jeter par dessus bord tous les acquis de la Cédéao. Nous voulons refonder au Mali, pourquoi ne pas refonder la Cédéao. Réajustons-la à l’étape qui s’ouvre ».

Des propositions à méditer !

Yacouba Traoré

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’