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Mali : Union des aveugles, le parent pauvre du Mois de la solidarité

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L’Union malienne des aveugles (Umav) traverse une période difficile ces dernières années. Cette situation s’est accentuée avec la dégradation des relations diplomatiques entre notre pays et certains de ses partenaires, d’après le président de l’Umav, Hadji Barry. Et si le président Assimi Goïta songeait à cette association en ce mois dédié à la solidarité !

Il est midi moins le quart ce mardi à l’Union malienne des aveugles (Umav). Le temps est calme. Quelques adultes vaquent à leurs occupations dans la grande cour de l’Union. Parmi eux, un groupe attire notre attention.

Pendant que certains causent ou se chahutent, un non-voyant est concentré sur son travail. Il tisse une chaise à nylon. Un travail mesquin et harassant même pour un voyant, mais cela n’est pas notre sujet aujourd’hui. Nous y reviendrons dans une prochaine parution. Aujourd’hui, nous nous intéressons aux élèves internés à l’Umav.

Le chef de l’internat, Ogonagalou Dolo, qui enseigne également au second cycle de l’Umav, nous reçoit. Les élèves sont encore en classe. Cependant, il nous fait visiter l’internat. Sans canne ni guide, M. Dolo nous conduit au dortoir des garçons auquel nous nous limitons pour ne pas violer l’intimité des filles.

Le local est propre à vue d’œil. Les lits sont superposés à deux. Pourtant, il n’y a pas de manque de lits parce que des lits propres en bon état sont visibles dans la cour à proximité de ce dortoir.

« L’internat est un peu restreint pour les enfants. Chaque année, on reçoit des enfants. Mais nous n’avons qu’un seul dortoir pour les garçons. Idem pour les filles. Il y a actuellement une pléthore au niveau de l’internat. La capacité d’accueil de l’internat des garçons est de 80 personnes mais il abrite actuellement 120 garçons. Nous avons suffisamment de lits, mais nous n’avons pas de place où les mettre. On n’a pas encore fini de faire la liste définitive. Nous avons plus de 180 enfants recensés à ce jour », explique Ogonagalou Dolo.

Et de souligner d’autres difficultés auxquelles ils font face. « Nous avons souvent des problèmes avec des parents d’élèves. Les enfants viennent le dimanche, passent la semaine à l’internat et retournent faire le week-end à la maison. Cependant, il y a certains parents qui ne viennent pas souvent chercher les enfants. L’internat couvre toute la période des deux cycles du fondamental. Les enfants mangent trois fois par jour. Nous demandons aux autorités de penser aux mômes qui sont à l’Umav. Ce ne sont pas des enfants de l’association. Ce sont plutôt les enfants du Mali », souligne-t-il.

Entre-temps, la cloche sonne. Il est midi. Les élèves sortent des classes. Balla et Nouhoum viennent au dortoir. Ils marchent côte à côte librement et sans canne. Ils maîtrisent chaque coin et recoin de la cour comme leurs poches. Leurs impressions sont positives pour l’internat. Mais, leurs explications indiquent à quel point cet internat est important dans la formation de ces enfants qui ont perdu la vue à leur jeune âge.

Balla Fofana est élève en classe de 7e année. Il habite le quartier Konatébougou en Commune I, en rive gauche. Chaque dimanche, il vient à l’Umav pour ne retourner que le vendredi après les cours du soir.

« Je suis passé avec près de sept de moyenne au second cycle. Cela commence plutôt bien. J’ai commencé ici au jardin d’enfants. Donc, cela fait huit ans que je vis à l’internat de l’Umav. Je me sens bien et à l’aise ici. A l’avenir, je veux étudier le commerce pour devenir commerçant », témoigne le jeune privé de la vue. Avant de demander aux autorités de leur venir en aide pour qu’ils puissent faire leurs études dans de bonnes conditions.

Nouhoum Poudiougou est aussi en classe de 7e année. Il n’est pas ressortissant de la capitale. Il vient de Koumantou dans la région de Sikasso. A la différence de son camarade, il a commencé ses études à Sikasso. C’est au cours de sa scolarité qu’il a eu des problèmes de vision. C’est ainsi qu’il est venu à l’Umav pour apprendre le braille et poursuivre son apprentissage.

« J’ai commencé ici en classe de 5e année. Aujourd’hui, je fais la 7e année. Je n’ai pas de parents à Bamako. Donc je reste permanemment à l’internat jusqu’aux congés pour retourner les passer au village. Sans l’internat, je ne sais pas comment j’allais faire des études. Je veux être artiste », témoigne l’élève.

Si Nouhoum et Balla se réjouissent à l’internat, tout comme beaucoup de leurs camarades, il existe une multitude de difficultés derrière cet émerveillement des élèves. Les dirigeants de l’Umav sont au charbon pour assurer le bonheur des enfants non-voyants. C’est ce que nous a confié Hadji Barry, président de l’Union.

Des obstacles

« L’Umav est une association créée pour l’épanouissement des aveugles autant dans les villes que dans les campagnes. Elle a pour objectif la prévention et la lutte contre la cécité, la scolarisation des enfants aveugles. Notre structure est confrontée à plusieurs difficultés comme l’étroitesse et le faible équipement de notre unité ophtalmologique. Or, nous jouons un grand rôle dans la lutte contre la cécité. Nous avons plus de 4000 consultations en ophtalmologie par an. C’est pourquoi nous sollicitons l’accompagnement de l’Etat.

Dans le cadre de la scolarisation des enfants aveugles, nous avons beaucoup de difficultés pour l’acquisition de matériels didactiques. Ces matériels ne sont pas disponibles sur le marché africain. La scolarisation est le meilleur moyen de lutter contre la mendicité et la pauvreté des personnes des handicapés visuels.

Pour l’insertion en milieu urbain, les difficultés ont pour noms : la vétusté des matériels de fabrique de craies et de serpillières, le non écoulement des produits. A ce jour, la société de production de l’Umav dispose de près de 8000 cartons de craie invendues. La valeur marchande de ce stock de craie invendu s’élève à près de 120 millions de F CFA. En ce qui concerne l’insertion en milieu rural, les difficultés consistent au faible financement des activités génératrices de revenu. Nous savons que c’est difficile compte tenu de la situation actuelle du pays.

Le choix politique de nos autorités vis-à-vis de certains partenaires du pays a beaucoup impacté l’Umav. Cela nous a coûté notre partenariat avec la Fédération des aveugles de France. Nous avons perdu le financement du consortium dans lequel nous étions avec le Bénin, le Niger et la Côte d’Ivoire et qui est financé par l’Agence française du développement. En plus, notre pays ne peut plus participer aux formations organisées par ce consortium », égrène Hadji Barry.

Nécessité d’agir

Toutes difficultés auxquelles l’Umav est confrontée ont une solution simple. Si le président de la Transition pensait à cette association elles seront rapidement de mauvais souvenirs.

Il lui suffit de prendre un décret pour instruire le Premier ministre qui à son tour va instruire les ministres concernés d’acheter non seulement le stock de craie de l’Umav, mais aussi ses productions futures et donner le marché de serpillières de tous les établissements publics à l’Umav au nom de la solidarité.

« Si l’Etat achetait la craie et les serpillières de l’Umav à hauteur de souhait, cela va d’abord permettre à notre association de recruter d’autres personnes. Cela lui permettrait également de venir en soutien à l’internat parce que sa prise en charge fait partie des problèmes liés à l’éducation. La prise en charge de l’internat coûte cher. Il nous permettrait de supporter la charge des salaires des employés qui ont décidé de vivre à la sueur de leur front. Nous demandons à l’Etat de nous accompagner et d’être là pour ceux qui ont décidé de vivre à la sueur de leur front », soutient le président de l’Union.

La cécité est une maladie qui peut frapper tout le monde à tout moment. Le cas du jeune Nouhoum Poudiougou est significatif. Personne n’est à l’abri de cette maladie. Le président de la Transition est interpellé. Il devrait agir pour permettre à ces enfants du pays d’étudier dans de bonnes conditions et vivre dignement à la sueur de leur front au lieu d’aller mendier au bord des routes comme le font de milliers de non-voyants à travers le pays.

Yacouba Traoré

Source : L’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’