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ORPAILLAGE PAR DRAGAGE : Une activité dangereuse dans le lit du fleuve Niger

Le fleuve Niger est le troisième plus grand cours d’eau d’Afrique après le Nil et le Congo. Long de 4200 km, dont 1 700 au Mali, ce cours d’eau est confronté ces dernières années à une intensification de l’orpaillage dans son lit. Connue sous le nom populaire du dragage, cette pratique est interdite par l’ancien Code minier de 2019 et le nouveau Code minier promulgué le 28 août 2023. L’orpaillage par dragage dans le fleuve Niger en amont de Bamako fait craindre un fort risque à l’environnement aquatique. Ce risque est-il réel ?

Dans leur course effrénée pour l’or, les orpailleurs sont descendus dans les cours d’eau au Mali. Même le fleuve Niger n’est pas épargné. C’est ce genre d’orpaillage qui est appelé dragage.

Djibril Diallo est un expert, ingénieur-géologue, minier et enseignant. Il explique d’abord le concept de dragage. « Au sens propre, le dragage est une façon de désensablement du fleuve ou de la mer. Au fil du temps, le dragage s’est retrouvé dans l’exploitation de l’or. Cela se fait au Canada, aux Etats-Unis. En voulant draguer le fleuve, le sable ou le gravier qui sortait de l’eau contenait de l’or. Alors, ils ont mis en place un système qui permet non seulement d’évacuer le sable et le gravier qui sont dans la rivière, mais en même temps de traiter cela pour récupérer l’or ».

L’évocation du mot dragage au Mali, renvoie automatiquement à l’or même si les exploitants du sable font aussi le dragage.

En quoi consiste le dragage ?

« Le dragage, qui est pratiqué au Mali, se fait avec des petits bateaux appelés dragues suceuses, confectionnés localement. Ces bateaux sont équipés d’un moteur de Mercedes 190, d’une pompe et d’un tuyau suffisamment long pour atteindre le fond du fleuve. Un plongeur fixe le tuyau au fond du fleuve pour aspirer le gravier ou le sable. La matière aspirée est déposée en surface et elle forme un super concentré. Les orpailleurs versent une petite quantité de mercure sur ce concentré qui capte l’or. Le mercure est par la suite brûlé. Son évaporation permet de récupérer l’or », explique l’expert. Ce traitement se fait hors de l’eau.

Selon l’ingénieur géologue Djibril Diallo, l’orpaillage par dragage emploie plus de 500 000 Maliens. L’activité permet à l’Etat d’avoir jusqu’à trois tonnes d’or par an. Mais d’où viennent les acteurs qui le pratiquent ?

Selon les témoignages recueillis auprès des orpailleurs à Samanyana près de Bamako, certains viennent de localités éloignées pour travailler à la drague. « Avec la crise sécuritaire dans les parties nord et centre du pays, de nombreux jeunes se sont retrouvés dans le dragage. Ils ont trouvé un moyen de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. Avec l’interdiction en 2019, que vont faire ces 500 000 jeunes si ce n’est d’aller gonfler le rang des bandits et des jihadistes. Cela va créer des problèmes d’insécurité et il faudrait des milliards pour résoudre ce problème. Avant d’en arriver à ce stade, il faut savoir encadrer le secteur », propose Djibril Diallo.

Activité dangereuse

Le fleuve Niger fait partie des cinq fleuves au monde les plus pollués selon les études publiées en 2017 par la revue « Environnemental Science & Technology ». Au niveau du Mali, un rapport publié sur l’état du fleuve Niger en décembre 2018 par l’Agence du bassin du fleuve Niger indique que les sources de pollution sont présentes sur tout le parcours du fleuve de Djoulafondio, dès son entrée au Mali, à Labbezanga (frontière nigérienne). L’une des raisons de cette pollution est l’orpaillage par dragage, selon Fatim Hélène Traoré, environnementaliste, ambassadrice pour l’eau et l’assainissement, militante pour l’accès à l’eau, l’assainissement et la préservation de la biodiversité.

« L’orpaillage traditionnel est une activité répandue au Mali, qui consiste à utiliser une quantité non contrôlée de produits chimiques toxiques tels que le mercure et le cyanure, des hydrocarbures et utiliser de gros engins et équipements de dragues. Les effets et impacts néfastes pour l’environnement sont multiples ; à savoir : dégradation du paysage, détérioration de la faune et de la flore aquatiques, pollution des eaux, dégradation des sols qui déséquilibre l’écosystème même du fleuve Niger (disparition des espèces de poissons, développement de plantes toxiques, dégradation des fonds et des berges du fleuve…) », s’alarme l’environnementaliste.

Elle souligne en plus que le dragage complexifie le traitement de l’eau dans la mesure où il contribue à la pollution du fleuve Niger. « Ainsi, la mise en qualité de l’eau brute tirée du fleuve nécessite des dépenses colossales (en milliards de F CFA) en produits de traitement pour potabiliser l’eau par la société d’exploitation ; cela constitue donc un coût énorme pour le secteur de l’eau », indique Fatim Hélène Traoré.

Aussi, elle soutient que le dragage peut impacter les riverains du fleuve qui utilisent l’eau pour leur boisson et alimentation, ainsi que pour la cuisine et les lessives. Les particules toxiques dans l’eau brute se retrouvent dans l’organisme humain qui, avec une accumulation, représentent un danger pour la santé des populations, explique l’environnementaliste.

D’un point de vue social et économique, les communautés de pêcheurs dépendent des ressources halieutiques dont la quantité et la qualité se réduisent graduellement depuis ces vingt dernières années du fait de la pollution humaine et industrielle, ajoute-t-elle.

Dr. Sidy Ba est ingénieur environnemental, maître de conférences à l’Ecole nationale d’ingénieurs Abderhamane Baba Touré (ENI-ABT) de Bamako et président de la Coalition nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger (CNSFN). Il approuve les dires de Fatim Hélène Traoré.

« Les conséquences du dragage des cours d’eau pour l’exploitation aurifère sont nombreuses. Elles incluent la destruction des fonds des cours d’eau et de l’habitat des espèces aquatiques comme les poissons ; l’augmentation de la turbidité de l’eau avec la suspension des sédiments ; la pollution avec le déversement de produits chimiques (mercure, acide, etc.), d’huile et de graisse ; les nuisances sonores, etc. Le phénomène engendre une dégradation physique et biologique des cours d’eau », soutient le maître de conférences.

Pour lui, la destruction de l’habitat des espèces contribue à la migration de celles-ci, à la diminution de leur capacité de reproduction et donc à la réduction de certains services écosystémiques comme la pêche. Le dragage est aussi un fléau environnemental en ce sens qu’il modifie la configuration du cours d’un fleuve dans certains cas ainsi que la dégradation de la qualité de l’eau, poursuit-il.

Les propos de Mahamane Touré, pêcheur sur le Niger en amont de Bamako depuis 1981, confirment les précédents : « Nos ennuis ont commencé vers 2003 avec le début du dragage. Le dragage a franchement impacté la pêche. L’eau du fleuve n’est plus propre à la consommation. Pendant la période du début de la crue et la période de décrue, on s’en sort beaucoup mieux. Nous pouvons pêcher des capitaines de 10 à 100 kg. Mais pendant la saison sèche, le poisson devient très rare. Pendant cette période, on extrait les coquilles et on les vend aux aviculteurs. Or, nous prenons le permis de pêche chaque année ».

Actions de lutte

Les actions de lutte contre le dragage n’ont pas manqué. Vers les années 2014, les environnementalistes et les organisations de protection du fleuve ont commencé à donner de  la voix contre le dragage dans le lit du fleuve Niger. La Coalition nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger (CNSFN) de Dr Ba fait partie de ces organisations.

« Nous avons mené des campagnes de sensibilisation auprès du public et de plaidoyer auprès du ministère en charge de l’Environnement. Certains de nos membres ont même œuvré à la reconversion de certains propriétaires de dragues de l’activité de dragage pour l’or en minage de sable et graviers », se rappelle l’ingénieur environnemental.

Le 15 mai 2019, le gouvernement a pris un arrêté interministériel pour suspendre l’orpaillage par dragage dans les cours d’eau. En septembre de la même année, l’adoption d’un nouveau Code minier a interdit tout simplement « l’exploitation de toute substance minérale dans les cours d’eau ».

Cette interdiction a été reconduite dans le nouveau Code minier promulgué le 28 août 2023 par le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta. Malgré cette interdiction, force est de constater que le dragage continue de battre son plein.

Djibril Diallo remet en question l’idée selon laquelle le dragage a un impact négatif sur le fleuve. Pour lui, les environnementalistes ont collé du mensonge aux orpailleurs pour interdire leur activité. Il faut plutôt rechercher la pollution de l’eau du fleuve ailleurs, dit-il. Des orpailleurs burkinabè utilisent le cyanure au bord des rivières ou au bord du fleuve puisqu’ils ont besoin de l’eau pour traiter les minerais. Ils font des petits bassins où ils traitent le minerai avec du cyanure.

Pendant la saison des pluies, l’eau déborde ces bassins et coule dans le fleuve. L’impact de leur activité n’est pas visible. Ce sont plutôt ceux qui font le dragage qu’on accuse systématiquement de pollution, défend l’ingénieur géologue. Il se souvient qu’en 2015, une grande quantité de poissons a été retrouvée morte sans explication suite à une pluie torrentielle.

Une enquête avait été ouverte par le département de l’Environnement pour établir les causes sans que les résultats soient publiés. « Je pense que l’enquête a été très mal menée. Ils ont suspendu le dragage, pensant que cela était la cause de la mort massive des poissons. Sinon, les histoires des produits chimiques sont fausses », soutient-il.

L’ingénieur géologue estime que la suspension de l’activité est une mauvaise chose. Il préconise plutôt une meilleure organisation. « Si les dragues sont nombreuses en un seul endroit, elles troublent l’eau et cela rend difficile la vie de la faune aquatique. Toutefois, si le secteur est bien organisé et qu’une drague travaille dans un périmètre de 1 km2, cela n’aura aucun impact sur la turbidité de l’eau. Pour moi, le problème est organisationnel », estime l’ingénieur.

Il demande à l’Etat de revenir sur sa décision d’interdiction en privilégiant une bonne organisation puisque « malgré l’interdiction, le dragage continue clandestinement dans certaines localités. Et cela a plus de conséquences graves que si elle était autorisée. L’Etat paie de l’argent aux services de répression pour réprimer l’activité. Mais, certains prennent de l’argent aux orpailleurs et ferment les yeux. Dans ce cas, l’interdiction n’aura servi à rien si ce n’est d’aggraver le problème », indique M. Diallo.

Malgré l’interdiction

Selon le témoignage de Youssouf Guindo, le dragage continue malgré l’interdiction : « Il y a quelques années, les autorités nous ont informé de l’interdiction de l’orpaillage dans le fleuve au motif que cette activité remblaie le lit du fleuve et détruit la faune aquatique par l’utilisation des produits chimiques. A l’époque, nous avons tous arrêté le dragage bien que les raisons évoquées soient fausses. Mais, nous avons constaté que les machines à godet (nom  populaire donné à un bateau utilisé pour faire le dragage, Ndlr) qui sont utilisées par des étrangers continuaient à travailler. Alors, nous aussi avons fait descendre nos dragues dans l’eau, car on ne peut pas nous interdire une activité et l’autoriser aux étrangers ».

De nombreux Maliens vivent du dragage avec beaucoup de difficultés, poursuit Youssouf Guindo. « La quantité d’or extraite a considérablement diminué. En plus, nous rencontrons une autre difficulté avec l’administration. Au temps de président Amadou Toumani Touré (ATT), chaque année, chaque exploitant de drague prenait une carte à 100 000 F CFA (autorisation d’exploitation de la direction nationale de la géologie et des mines, Ndlr) pour toute l’année. Sous Ibrahim Boubacar Kéita, tout a changé avant l’interdiction. Le paiement est devenu mensuel. De 100 000 par an, des agents de la Brigade fluviale nous exigent de payer 30 000 F CFA par mois par drague et sans reçu. Entre le 1er et le 10 du mois, les éléments de la Brigade fluviale passent pour soutirer cette somme à chaque drague. Celui qui ne s’exécute pas voit ses installations démontées jusqu’au paiement de l’argent. Cette pratique continue après l’interdiction », dénonce l’orpailleur. Cette information a été démentie par le commandant de la Brigade fluviale. Pour lui, les dragueurs essaient simplement de légitimer leur pratique.

Et si l’encadrement et l’organisation de l’activité était la solution comme le préconise Djibril Diallo ? « Avant l’interdiction du dragage, le Mali était le 1er producteur en Afrique. Après l’interdiction du dragage, le Mali s’est subitement retrouvé à la 4e place derrière le Soudan où l’orpaillage est bien développé. Malheureusement, notre Etat n’arrive pas à organiser le secteur qui reste dans l’informel. L’Etat aurait pu trouver des solutions à travers la Chambre des mines pour mieux encadrer le secteur et le professionnaliser comme au Ghana où l’orpailleur a un diplôme et est considéré comme un ouvrier qualifié. Si l’Etat parvenait à cela, il serait propulsé à la première place », conseille l’ingénieur géologue. Cependant, les environnementalistes ne sont pas de cet avis.

« Le dragage est une source de revenu pour certains qui mettent en avant leur gain personnel aux dépens de l’intérêt général. Ce qui n’est pas du tout acceptable. Les cours d’eau sont des ressources naturelles précieuses dont la protection incombe à tout citoyen comme le stipulent nos textes juridiques en commençant par la constitution », persiste et signe Dr. Sidy Ba.

« Le Mali ne peut mener sa lutte contre les effets dévastateurs du changement climatique sans une stratégie intégrée de préservation de la biodiversité (eaux, terres et forêts). Le fleuve Niger est source d’opportunités économiques et contribuera à une croissance durable du Mali ainsi que de tous les pays voisins qu’il traverse. Toute forme de pollution du fleuve constitue une problématique de santé publique et de développement économique », interpelle Fatim Hélène Traoré.

Et d’ajouter : « J’en appelle donc à une forte volonté politique de l’Etat du Mali pour prendre les mesures nécessaires pour atténuer les effets de la pratique de dragage sur le fleuve Niger et des actions concrètes pour faire respecter strictement la réglementation en vigueur. Je lance un appel aussi aux citoyens qui ont un rôle de veille citoyenne et de dénonciation de cas de pratiques de dragages sur le fleuve Niger ».

Yacouba Traoré (de l’Hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’

Avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo)