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EN SUP (Mali) : épicentre d’une nouvelle crise à l’école ?

Après un début d’année scolaire calme, la relation entre le département de l’Education et la Synergie des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 semble commencer à se dégrader. En cause : une décision du ministère d’affecter tous les enseignants détenteurs de licence dans les écoles fondamentales.

La correspondance date du 28 décembre 2023 et est signée en PO par le secrétaire général du ministère de l’Education nationale. Elle est destinée aux directrices et directeurs d’Académie d’enseignement avec en objet : « Gestion après formation des enseignants diplômés en licence ».

L’application du contenu de cette correspondance risque de mettre en péril la bonne relation entre le ministère et la Synergie des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 depuis le début de cette année scolaire.

Dans la lettre, le département instruit les premiers responsables des académies de redéployer dans les établissements d’enseignement fondamental des professeurs de l’enseignement fondamental qui sont en surnombre dans les Centres d’animation pédagogique et des Académies d’enseignement.

« Les enseignants qui ont obtenu la licence dans les filières enseignées au fondamental 2 serviront au fondamental. Ceux dont la spécialité de la licence n’est pas enseignée au fondamental 1 ou 2 (sociologie, psychopédagogie et philosophie) serviront au fondamental 1 ou au fondamental 2 et y enseigneront leur spécialité de base (généraliste pour le fondamental 1 et spécialiste pour le fondamental 2) », commande le ministère.

Aussi, a-t-il instruit aux premiers responsables des académies de lui faire l’état des lieux des enseignants titulaires de licence déjà affectés dans les établissements d’enseignement secondaire. Pour le ministère de l’Education nationale, les enseignants ont été autorisés pour la formation en licence dans le but de renforcer et de relever le niveau de l’enseignement fondamental.

Dans une lettre de 2020 que nous avons pu consulter, le directeur général de l’Ecole normale supérieure (EN Sup) indique que le programme de licence de son établissement forme pour le fondamental et non pour le secondaire. « Notre programme de licence est non seulement axé sur le fondamental, mais aussi le stage se déroule au niveau du fondamental 2 », précise le DG.

« Cependant, une autre précision est à faire ici : dans le programme de licence de l’EN Sup, il existe des spécialités non enseignées au fondamental mais enseignées aux IFM notamment la psychopédagogie, la sociologie et la philosophie. Etant donné que les détenteurs de licence de l’EN Sup sont habilités à entrer dans le programme master professeur de l’Ecole normale, ces spécialités ont été prévues dès la licence bien qu’elles ne soient pas enseignées au fondamental. Les détenteurs de la licence peuvent subir le programme de master professeur de l’enseignement normal (pour enseigner dans les IFM) après deux années de service avec la licence. Les offres de formation de ce master sont disponibles et la maquette habilitée », explique le patron de l’EN Sup.

Colère

C’est la deuxième fois que cette décision fait la Une de l’actualité de l’Education nationale. Cette fois-ci, la Synergie des syndicats de l’éducation estime que c’en est trop. Son porte-parole, Ousmane Almoudou, exprime sa colère dans un entretien qu’il nous a accordé.

« Le 28 décembre 2021, on avait répondu à la correspondance du ministère pour dire que la décision est illégale et qu’elle n’a aucun fondement juridique. Les choses sur lesquelles le département se basait pour dire d’envoyer les détenteurs de licence au fondamental ne sont pas avérées. Dans la même correspondance, nous avions sollicité une rencontre avec le département pour ensemble clarifier la position. Malheureusement, nous n’avons pas été écoutés. Le ministère a insisté dans sa position en continuant à faire des détenteurs de licence des professeurs d’enseignement fondamental (PEF) mais qui, au regard des textes, ne sont pas des PEF. En lisant le statut du personnel enseignant, l’article 21 auquel le ministère fait référence, ce n’est pas valide.

Effectivement, cet article précise que le professeur d’enseignement fondamental doit servir au niveau fondamental en tant qu’administrateur scolaire. Mais l’article 23 explique que pour être un professeur d’enseignement fondamental, il faut avoir suivi une formation de professeur d’enseignement fondamental qui est sanctionnée par un diplôme équivalent ou égal au niveau licence. Alors que la seule école qui formait les PEF était l’EN Sup. Cette école, en raison de son entrée en système LMD (licence, master, doctorat) a fermé définitivement la filière en 2019. En plus la première promotion en licence à l’EN Sup est sortie en 2021. On ne peut pas dire à quelqu’un qui est sorti en 2021 avec une licence de professeur d’enseignement fondamental, une filière qui est officiellement fermée dans la même école depuis 2019. Aussi, les articles 6 et 7 du statut des enseignants disent clairement que lorsque les maîtres principaux de l’enseignement fondamental et ceux de l’enseignement secondaire partent faire une formation et obtiennent un diplôme équivalent à la catégorie A des fonctionnaires, ces enseignants sont des professeurs d’enseignement secondaire. Le département de l’Education fait fi de cela et s’agrippe à l’article 2021.

Au banc des accusés

L’argumentation de l’EN Sup ne tient pas. Si vous prenez la loi 2012-044 de l’EN Sup, nulle part il ne lui est assigné de former des professeurs d’enseignement fondamental. Il lui est demandé de former les professeurs d’enseignement normal, des professeurs d’enseignement secondaire général et ensuite de faire une formation post universitaire et de la diffusion du savoir. Nous connaissons le jeu de l’EN Sup. Si l’ensemble des diplômés en licence sont aujourd’hui affectés dans les établissements secondaires, elle n’aura plus de client pour son master. L’EN Sup n’est pas dans une recherche de qualité. Elle est en train de chercher à préserver ses intérêts financiers. Elle veut forcer les détenteurs de licence à venir faire le master. Parallèlement, les détenteurs de licence des autres écoles sont en train de dispenser des cours brillamment dans des écoles d’enseignement secondaire de même que les sortants de l’EN Sup détenteurs de licence.

C’est l’Institut de formation des maîtres (IFM) qui est chargé de former les professeurs de l’enseignement fondamental 1 et 2 ainsi que l’enseignement préscolaire. Un enseignant ayant obtenu son diplôme à l’IFM et ayant servi pendant 10 à 15 ans au niveau de l’enseignement fondamental, après avoir eu un congé de formation, va se former pendant 3 ans à l’EN Sup. Comment peut-on dire à cet enseignant qu’il est formé pour le fondamental. Il y a une incohérence totale dans le discours de l’EN Sup.

Sur le pied de guerre

La synergie a rencontré le ministre sur la question. Il a été prévu de constituer une commission dans laquelle l’EN Sup sera présente. La seule motivation de l’EN Sup, c’est forcer les gens qui sont en train de faire la licence à venir payer le master chez eux. Nous avons demandé à nos militants de se tenir prêts. Si le département maintient sa position et décide d’aller jusqu’au bout, on n’aura d’autre choix que d’agir. Tout est possible. Nous avons signé un procès-verbal en 2022.

Ce qui a permis d’amener une accalmie dans l’espace scolaire. Nous aurions souhaité qu’on en reste là. Mais si dans le déroulé des choses, certains estiment avec zèle qu’ils peuvent se permettre certaines choses parce qu’il y a une accalmie aujourd’hui, les syndicats de l’éducation n’auront d’autre choix que d’agir. Si cela devait nous amener à des grèves, nous n’hésiterions pas.

Cette question de licence a commencé quand la première promotion de l’EN Sup est sortie. Avant cela, des centaines d’enseignants sont sortis des autres écoles. Avec leurs licences, ils ont été reclassés dans l’enseignement comme professeur d’enseignement secondaire. C’est l’EN Sup qui a amené ce problème. La première promotion licence de l’EN Sup est rentrée en 2017. Quand cette promotion rentrait, on leur a dit depuis le concours d’entrée qu’ils vont sortir comme professeur d’enseignement normal. Du jour au lendemain, on vient leur dire qu’ils ne sont plus professeur d’enseignement normal, mais des professeurs d’enseignement fondamental. Dans un pays sérieux, on ne joue pas avec la carrière des gens comme cela. L’EN Sup est en train de jouer avec la carrière des gens au profit de son propre intérêt ».

Cette situation est plus qu’interpellateur. Cette décision du ministère considérée comme provocateur mérite de dialogue. L’école malienne qui a trop souffert n’a pas besoin d’une autre perturbation.

Yacouba Traoré

Source : Hebdomadaire malien  le Focus