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COURS D’EAU : La corruption et le cyanure empoisonnent la Falémé

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Au Mali, l’utilisation du cyanure, du mercure et des dragues pour l’extraction de l’or constitue un casse-tête pour les populations des localités de la région de Kayes comme Kéniéba et Sadiola. Toutes les autres activités économiques sont menacées par ces produits prohibés, mais utilisés au vu et au su des services techniques compétents en la matière. Tout comme les dragues qui exposent les êtres humains à la mort et contribuent à la pollution des cours d’eau comme la Falémé et à la destruction de l’écosystème. C’est ce qui résulte d’une enquête de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo).

« L’eau du fleuve (Falémé) fait mourir mes plantes. J’ai perdu plusieurs pieds d’orangers et de bananiers. Avant que l’eau ne soit polluée, je pouvais gagner environ 5 millions de F CFA, en vendant de la banane. Mais avec cette eau, avoir un million est un défi ». Tel est le cri de désespoir d’un jardinier qui s’est aussi inquiété de la contamination des animaux sauvages qui viennent s’abreuver à cette source d’eau.

Selon les enquêteurs de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), le Falémé (le plus important cours d’eau de la zone) est actuellement dans un état très avancé de pollution au cyanure avec une teneur maximale évaluée à 214 %, soit 2,09 fois supérieure à la norme malienne estimée à 5  % par le Laboratoire national des eaux à Bamako.

Le 29 juin 2023, ils ont procédé au prélèvement d’échantillons d’eau dans les villages de Makouké-Ngara, Mamoudouya et Makouké-Niafa (Commune de Dabia) afin de les soumettre aux spécialistes pour tester leur qualité. « Ces trois échantillons ont été analysés par le Laboratoire national des eaux à Bamako et les résultats sont alarmants », précise le rapport d’investigation.

L’analyse du premier échantillon (Makouké-Ngara) révèle la présence du cyanure avec une dose de 0,59  %. Prélevé à Makouké Niafa, le 2e échantillon a révélé la contamination de l’eau au cyanure avec une dose de 0,26. Quant à l’échantillon prélevé à Mamoudouya, il indique la présence de 2,14 % de cyanure dans l’eau.

« Ces chiffres établissent la pollution très avancée de l’eau car, selon le Laboratoire national de l’eau, lorsque la contamination des eaux de surface dépasse 0,05  %, c’est la dose létale, c’est-à-dire mortelle pour tous les êtres vivants. Autrement dit, le fleuve est contaminé avec un maximum de 2,09 fois supérieures aux normes maliennes. Ce qui constitue un vrai danger pour les êtres vivants », alertent les journalistes d’investigations.

Des produits prohibés, mais utilisés au vu et su de tous

Cette situation s’explique par l’utilisation abusive du cyanure, du mercure, du zinc… et des dragues dans l’orpaillage dans les zones riveraines du cours d’eau. En effet, compte tenu de son efficacité à récupérer l’or, la cyanuration est de plus en plus prisée par les orpailleurs.

« C’est un processus qui consiste à obtenir la séparation de l’or par l’immersion du minerai finement broyé (provenant parfois des rejets de lavage ou 70 % d’or peut être récupéré) dans un bain de cyanure alcalin », explique Pr. Adama Tolofoudjé.

Spécialiste de génie chimique et génie des procédés et chargé de cours à la Faculté des sciences et techniques (Fast) de Bamako, il dirige le laboratoire de la Faculté et mène des études sur les sites d’orpaillage.

Et pourtant, le code promulgué en septembre 2019 interdit formellement l’utilisation du cyanure sur les sites d’orpaillage. « L’utilisation des explosifs et des substances chimiques dangereuses, notamment le cyanure, le mercure et les acides dans les activités d’exploitation artisanale, est interdite », stipule l’article 50 de ce code.

Malheureusement, déplore le Cenozo, cette loi ne prévoit pas de sanctions contre ceux qui utilisent ces produits chimiques hautement toxiques qui sont nuisibles à la santé et contribuent à la pollution des cours d’eau et à la dégradation de notre écosystème.

En dehors de ces produits toxiques, le lit du fleuve la Falémé est toujours envahi par les dragues en violation du code minier de 2019. « L’exploitation de substances minérales dans les lits des cours d’eau par dragage ainsi que par toute autre méthode est interdite », stipule son article 44. « Sont punis d’un emprisonnement d’un mois à trois ans et d’une amende de 1 à 5 millions F CFA ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui se livrent à l’exploitation de substances minérales par dragage », précise l’article 195.

Les services techniques indexés, les notabilités accusées

Au moment où les autorités adoptaient ce code (le Mali s’est doté d’un nouveau code minier en 2023) en 2019, le fleuve Falémé agonisait déjà du fait du dragage. Dès lors, selon le Cenozo, « ce nouveau texte avait suscité de l’espoir chez les populations riveraines. Beaucoup espéraient la fin de cette pratique. Malheureusement, ces machines opèrent dans certaines zones de Kéniéba.  Ce qui leur importe, c’est l’appât du gain et non la préservation de la santé et de l’environnement ».

A qui la faute ? Les populations indexent généralement les services qui, à leur tour, accusent les élus et les notabilités.  « L’exploitation artisanale à l’intérieur des couloirs d’exploitation artisanale est gérée par les collectivités territoriales. Le permis d’exploitation artisanale est accordé par les autorités des collectivités territoriales sur un périmètre à l’intérieur d’un couloir d’exploitation artisanale de leur ressort », indique l’article 47 du code de 2019.

Pour ce qui est du cas de l’utilisation du cyanure, le chef de service local de l’environnement et de la pollution du cercle de Kéniéba est catégorique sur la complicité des chefs de village qui autorisent l’installation des chantiers.

« Quand on m’a informé que des ressortissants d’un pays voisin ont installé un chantier de cyanure près du village de Batama, j’ai organisé une mission et nous avons constaté que cela a été fait avec la complicité du chef de village et d’un conseiller. Les nouveaux occupants ont affirmé avoir payé 200 000 F CFA au chef de village avant l’installation et chaque mois ils doivent lui payer 50 000 F CFA. Nous avons saisi leurs équipements et détruit le chantier », a-t-il argumenté.

Toutefois, des doigts accusateurs sont aussi pointés sur les services de contrôle des frontières qui laisseraient entrer ces produits sur le territoire national. Et comme on peut le constater, la corruption est à la base de ce chaos.

Moussa Bolly (Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’)