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Mali : L’autopsie de l’échec d’une école qui a fait zéro admis au DEF

Le taux de réussite au diplôme d’études fondamentales (DEF) session 2023,  est de 30,32 % au niveau national, en deçà des attentes. Au Groupe scolaire de Nafadji, précisément au second cycle 2, il est catastrophique. Aucun des 104 candidats n’a réussi. Pour la nouvelle année scolaire, nous avons tenté de trouver les raisons de cet échec.

Nafadji est un quartier périphérique situé en Commune I du district de Bamako. Il fait partie des villages anciens que Bamako finira par engloutir sous la poussée démographique. Comme tous les quartiers populaires, il dispose d’un groupe scolaire composé de deux 1ers cycles et deux seconds cycles.

Selon Mohamed Haïdara, directeur du second cycle-2 et coordonnateur du Groupe scolaire de Nafadji, l’année dernière le second cycle 1 comptait 300 élèves, 320 pour le second cycle-2. Le 1er cycle avait 676 élèves et l’autre 1er cycle (Doumanzana H) avait 459 élèves.

Il annonce qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur le nouvel effectif. Cependant, l’année dernière, les 2 seconds cycles ont enregistré de très mauvais résultats au DEF. Le second cycle 1 n’a fait que trois admis. Tandis que le second cycle 2 affichait zéro admis. Qu’est-ce qui explique ce mauvais résultat ? Mohamed Haïdara explique.

« D’habitude, nous organisons des devoirs pour rapprocher les élèves des cahiers. Mais, ils n’apprennent pas. C’est étonnant qu’un élève qui a 12 de moyenne en classe n’arrive pas à avoir 10 au DEF. J’avais 104 candidats au DEF, un seul a pu obtenir 9,94, mais n’a pas passé. Deux ont eu 8. Le reste c’était des 7 jusqu’à 3 de moyenne. Les enfants sont partis au centre et revenus bredouilles.

‘‘Je reviens d’une course au marché. J’ai rencontré deux de mes élèves que j’ai failli renvoyer l’année dernière. Ils étaient en train de fumer alors que les autres sont en classe. A ma vue, ils ont fui. De plus, la cour n’est pas clôturée. Quand nous convoquons les parents, ils viennent nous supplier. La fouille corporelle des élèves par des policiers, chose à laquelle ils n’étaient pas habitués, a aussi négativement impacté les enfants.

Ici, les parents ne nous facilitent pas la tâche. Hormis le jour de la rentrée, on ne les voit plus. Quand nous chassons un élève pour mauvaise conduite, rares sont les parents qui viennent s’enquérir de la situation. Une fois, j’ai convié les parents d’élèves parce que l’année scolaire était partie jusqu’à juillet. Je voulais leur demander de prendre en compte la mare qui est en bas quand ils vont envoyer les enfants à l’école. Mais, je n’ai pas reçu plus de dix parents d’élèves sur l’ensemble du second cycle. Et puis, ce sont des femmes qui répondent présentes.

Il faut noter que nous avons un mauvais système au 1er cycle. On est unanime là-dessus. C’est ce qui est à l’origine de la baisse du niveau des élèves. De la 1ère  année à la 6e, ils n’apprennent que la langue nationale dans les écoles publiques. C’est vrai qu’il y a un pourcentage à respecter, mais cela n’est généralement pas respecté. En 7e, la langue nationale est brusquement abandonnée au profit du français. C’est la raison pour laquelle certains élèves qui n’ont jamais redoublé au 1er cycle recalent à la 7e année. Quand on leur demande de faire une rédaction, ils vont te rédiger un texte en langue nationale. Or, on n’en a pas besoin en 7e année.

Dans l’emploi du temps, j’ai décidé de consacrer chaque vendredi soir aux devoirs, surtout les matières qui exigent la révision comme l’histoire et la géographie. Je suis même dans la perspective de voir comment organiser des devoirs communs avec les écoles proches. Nous espérons que cela va les rapprocher des cahiers.

Le résultat auquel personne ne s’attendait a découragé les enseignants. Je leur ai dit de redoubler d’effort et d’oublier le passé. Nous avons demandé aux parents d’élèves de nous aider dans notre tâche. Nous leur demandons de venir de temps en temps s’enquérir de la situation de leurs enfants parce que certains enfants quittent la maison mais ne viennent pas à l’école ».

Sans niveau

Au contact direct des élèves, les enseignants maitrisent mieux les raisons de leur échec. Seydou B. Koné est professeur de français. Pour lui, le problème des élèves, c’est que beaucoup ont raté l’éducation de base.

« Pour qu’un élève réussisse à son examen, il faut une base solide. Les élèves ne quittent pas le 1er cycle avec une base solide. Ils viennent au second cycle sans niveau et on ne peut pas leur donner exactement ce dont ils ont besoin. En 9e année, les élèves ont du mal à apprendre leurs leçons. L’élève ne se forme pas en 9e année. Il se forme de la 1ère  à la 9e année. Il doit venir avec un bagage intellectuel acceptable en 9e pour pouvoir passer son examen. Le véritable problème des élèves c’est qu’ils ne peuvent pas apprendre leurs leçons », déplore l’enseignant.

Ce n’est pas tout : « Il y a aussi le problème de l’effectif qui joue négativement sur les élèves des écoles publiques. L’effectif de certaines classes peut atteindre 150 ou plus. C’est difficile de donner une formation de qualité à un tel effectif. En plus, les élèves ne prennent pas les études au sérieux. Cela est la faute aux parents d’élèves qui ne suivent pas leurs enfants à la maison. Il faut que les parents assurent le suivi à la maison. Ce que nous faisons devrait être complété par les parents à la maison. Si nous donnons des leçons aux élèves, les parents doivent veiller à ce qu’ils les apprennent à la maison. Si le parent n’est pas instruit, qu’il cherche quelqu’un pour le faire », ajoute M. Koné.

Quid des élèves ? Astan Camara est redoublante. Elle fait partie des 104 candidats malheureux au DEF 2023. Partie dans la salle d’examen avec 11 de moyenne, elle n’a pu obtenir 10 pour passer à l’examen. D’après elle, ce sont les matières scientifiques qui l’ont recalée. « Je suis mauvaise en mathématiques, en physique et en chimie. Sinon, je m’en sors bien avec les matières littéraires tel que le français, l’histoire et la géographie ». Cependant, elle espère pouvoir surmonter toutes ces difficultés et passer à l’examen cette année. « Mes parents m’ont pris des cours à domicile en mathématiques ».

A en croire le directeur Haïdara et l’enseignant Koné, l’échec des élèves est dû à leur faible niveau. Comme Seydou B. Koné, nombreux sont les enseignants du second cycle et même du secondaire qui pensent que la baisse du niveau des élèves tient son origine au 1er cycle. Pour mieux comprendre cela, nous nous sommes rendus au 1er cycle du groupe scolaire. La directrice n’est pas venue ce jeudi pour des raisons sanitaires, nous indique Soumaïla Diarra, enseignant la 4e année. Il nous donne cependant son opinion concernant cette idée. Il commence par souligner les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur fonction.

Insécurité

« Nous rencontrons certaines difficultés qui impactent notre travail. Le personnel enseignant est en insécurité. Chaque fois, des agressions des enseignants se passent à cette école. L’année précédente, un ancien élève de cette école, de passage à la fenêtre a donné un coup de bâton au maître avant de fuir. Heureusement, les élèves ont pu l’identifier et on est allé voir ses parents. Ce qui cause cette insécurité c’est le manque de clôture de l’école. En plus, quand vous touchez à certains enfants, leurs parents viennent vous insulter devant vos élèves. L’année dernière, j’ai personnellement rencontré cette difficulté. Une dame est venue m’insulter devant mes élèves parce que j’ai donné un coup de fouet à son enfant. D’autres difficultés pourraient être la mésentente entre certains enseignants et certains directeurs », explique le maitre.

Pour lui, les facteurs de la baisse de niveau des élèves sont nombreux et chacun a sa part de responsabilité. Les parents ne surveillent plus les enfants à la maison. Les enseignants aussi ne travaillent plus pleinement, avance Soumaïla Diarra. L’emploi du temps du 1er cycle prévoit au minimum 6 matières dans la journée, précise-t-il. Et de reconnaître que rares sont les enseignants qui dispensent toutes ces matières dans la journée. Des absences non justifiées des enseignants sont aussi multiples. De plus, beaucoup d’enseignants ne maitrisent pas les multiples systèmes de notre système éducatif, ajoute M. Diarra.

Un mélange de genres

« Il existe le Sira qui est basé sur la langue nationale mais se limite à la 2e année. Avant cela, il y avait le curriculum. Ce système concernait tout le 1er cycle. En système curriculum, la 1re année est 100 % la langue nationale. La 2e année est 75 %. La 3e année est 50 %. Le pourcentage de la langue nationale diminue progressivement jusqu’en 6e année qui sera 100 % français. Actuellement, il n’y a pas de système fixe au Mali. Le Centre d’animation pédagogique (Cap) a donné le libre choix aux enseignants entre le système classique (100 % français depuis la 1re année), le curriculum ou le Sira », explique le maitre avec stupéfaction.

En l’absence de la directrice du 1er cycle de Nafadji, nous avons approché la directrice de Doumanzana H, Mme Traoré Aminata Diakité, qui fait partie du groupe scolaire. Selon Mme Traoré, la baisse du niveau des élèves est une généralité au Mali. Pour le cas de son école, elle retient plusieurs facteurs. Elle pense que les parents ont démissionné de leur rôle de suivi à la maison.

Pour autant, elle ne dédouane pas les enseignants. Il y a de bons enseignants, mais il y en a aussi des mauvais. La directrice pointe du doigt la longue distance que les enfants parcourent pour venir à l’école. Beaucoup d’enfants qui sont ici logent loin et à cause du long parcours, ils peuvent venir en retard. « Aussi dans notre zone, beaucoup de parents ne sont pas lettrés. Du coup, les charges sont délaissées aux enseignants. Et les enseignants ne peuvent pas tout faire », ajoute la directrice.

Sitan Diabaté, parent d’élève, prouve les dires de la directrice. Le regard froid, elle est venue au chevet de ses enfants. « J’ai quatre enfants à cette école. Le plus âgé fait la 7e année et les autres sont au 1er cycle. Je suis tout pour mes enfants. Mon mari est malade et n’est plus en état de travailler. Les enfants n’ont pas de niveau, mais que faire quand on est démuni. J’ai du mal à assurer la nourriture des enfants à plus forte raison les inscrire dans des écoles privées. Or, c’est là-bas qu’ils pourraient avoir de bons niveaux. Je suis les enfants à la maison. Puisque je ne suis pas instruite, je ne peux me contenter que de ce qu’ils me disent. En plus, je viens régulièrement à l’école pour m’enquérir de leur situation », se confie la bonne dame.

Sitan Diabaté fait partie des exceptions chez les parents d’élèves en termes de suivi des enfants

Pour Amadou Coulibaly, un des présidents des comités de gestion scolaire du Groupe scolaire, le CGS représente les parents d’élèves. A l’en croire, le mauvais résultat du second cycle au DEF dernier n’est pas seulement la faute aux enseignants et le CGS. Tout le monde a sa part de responsabilité, y compris l’ensemble des parents d’élèves, dit-il.

« Depuis que je suis président du CGS, je n’ai vu aucun parent d’élève venir régulièrement suivre son enfant. Ils ne viennent que lorsque l’enfant a des problèmes ou que l’enfant a été chassé. Pour la réussite des enfants à l’école, tous doivent travailler ensemble », rapporte M. Coulibaly. Il se montre surpris par le résultat catastrophique de l’école.

« L’année dernière, j’ai tenu une réunion avec mon directeur pour parler des perspectives de l’année. Après cette réunion, nous sommes passés dans les classes pour encourager les enfants et les exhorter à l’assiduité. Cette année, nous n’avons pas encore tenu cette réunion. Mais, elle ne saurait tarder », indique-t-il avant d’assurer qu’il existe un dialogue permanent entre le comité et le personnel enseignant. « Personnellement, je viens le jour de la rentrée et il ne passe aucun mois sans que je ne vienne une ou deux fois, voire plus à l’école pour visiter les locaux et discuter avec les directeurs », ajoute le président du CGS.

Le cas d’échec du second cycle 2 de Nafadji au DEF 2023, qui n’est qu’un cas parmi tant d’autres, est une preuve de plus de la qualité défectueuse de l’école publique malienne qui semble ne pas avoir un système propre à elle.

Yacouba Traoré

Source : l’hebdomadaire  malien ‘‘Le Focus’’