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Mali : tri de déchets, sot métier à haut risque ?

Des Maliens, principalement femmes et enfants, ont pour gagne-pain le tri et la collecte de sachets plastiques, de plastiques, de fers sur des tas d’ordures. Cependant, ce travail est très risqué. Qui plus est, il ne paie pas bien. Reportage sur les femmes qui pratiquent ce métier dans la zone aéroportuaire.

Jeudi 16 mai 2024. Nous sommes dans la zone aéroportuaire à côté du dépôt anarchique de boues de vidange. A l’ouest, un vaste champ de plusieurs hectares est entièrement couvert de sachets plastiques. Il est midi, deux jeunes filles, Awa et Djénébou, fouillent un tas d’ordures de déchets médicaux à l’aide d’une barre de fer façonnée telle une faucille.

Sans chaussure de sécurité (bottes), ni gants encore moins de bavettes, les deux adolescentes s’aventurent au milieu des déchets médicaux avec le risque de se faire piquer par des aiguilles de seringue ou se faire éclabousser de poches de sérum. A vue d’œil, le tas d’ordures est répugnant.  Il sent très mauvais. On y voit un peu de tout.

« Je préfère faire ce travail que d’aller voler ou prendre de l’argent avec les garçons en contrepartie », nous confie Awa en continuant de piquer avec sa barre de fer. Elle continue : « Je suis consciente du risque et du danger en pratiquant ce métier sans protection. Mais, c’est dans cela qu’on gagne notre vie. On trouve tout dans ces déchets. De la nourriture, que nous mangeons, à l’eau en sachet que nous buvons. Il nous arrive aussi de tomber sur des restes humains dans les déchets médicaux. Personnellement, je suis tombée plusieurs fois sur des pieds et des mains. Quand cela arrive, je les mets de côté et je continue mon boulot ».

Quid des piqures d’aiguilles ? « Nous n’en avons pas peur », nous répond-t-elle. « Elles nous piquent, on les retire et on les jette avant de continuer la recherche de sachets », poursuit Awa.

En pantalon jeans, t-shirt (body) et un képi vissé sur la tête contre le soleil, Djénébou s’assoie au beau milieu des ordures et tapote son téléphone Android. « Aïe ! Je suis fatiguée », dit-elle. « Ce travail, c’est mon destin et je le fais fièrement », nous dit-elle.

« Je préfère ce métier au travail de bonne qui est moins respectueux, mal rémunéré. J’ai été bonne pendant deux ans. Ce travail ne m’a laissé que de mauvais souvenirs. Certains patrons n’ont aucun respect envers vous. Tu es le premier à te lever le matin et le dernier à te coucher. Tout cela pour un salaire minable. Malgré les risques, je préfère ce métier où je suis maître de moi-même », déclare Djénébou.

Soudain, un camion benne déboule rempli de déchets. Plusieurs femmes sortent de plusieurs côtés et se ruent sur le véhicule qui décharge son contenu. Ici, il n’y a que des femmes qui font ce métier. Un peu plus loin, plus à l’ouest, un autre groupe de femmes se meut entre de gros colis. Ce sont des colis de sachets plastiques tout fini prêts à être vendus. Parmi elles figure Salimata Bouaré, une dame visiblement vieille.

La nécessité faisant loi

« Nous cherchons des tas d’ordures. Nous trions les déchets par plastiques, sachets et fers. Nous rendons les plastiques propres et les emballons. Ensuite, des gens viennent nous les acheter. C’est un travail très épuisant. Il nous arrive même parfois de tomber malades. J’ai eu 30 000 F CFA lors de ma dernière vente. Cela date de la veille de la fête de ramadan. Nous vendons le kilo du grand sachet à 300 F CFA. J’ignore le prix du kilo du petit sachet. Quand je rentre à la maison, il me faut prendre des médicaments pour pouvoir dormir à cause de la fatigue. Mon mari a perdu la vue à cause de l’hypertension. Mes enfants sont des apprentis réparateurs. Ils rentrent les mains vides chaque soir. C’est à moi de prendre en charge les dépenses de la famille », nous confie-t-elle amère et désolée.

Entourée de plusieurs sacs de grande taille collectés en deux semaines, Fatoumata Diarra nous exprime ce qui les préoccupe présentement. « Actuellement, nous sommes confrontés à la baisse du prix du kilo des sachets. De 125 F CFA avant, le kilo se vend aujourd’hui à 100 F CFA », indique-t-elle.

Et ce n’est pas la seule difficulté, nous fait savoir sa sœur, Oumou Diarra. « Nous sommes confrontées à la mévente depuis une semaine. On nous a expliqué que l’usine de recyclage des sachets est à l’arrêt à cause des coupures d’électricité », rapporte la demoiselle.

Il n’y a pas de sot métier, dit-on. Certes, mais ces dames méritent une attention particulière des pouvoirs publics pour leur permettre de se protéger contre d’éventuelles maladies. Après tout, elles ne cherchent qu’à vivre dignement à la sueur de leur front pendant que leurs semblables vivent dans le luxe via des métiers peu recommandés et souvent contraires à nos mœurs.

Yacouba Traoré

Source : l’hebdomadaire malien ‘‘Le Focus’’