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Délestages au Mali, un crime sans coupable

En 2023, les coupures d’électricité ont atteint un niveau rarement égalé ces dernières années. A la recherche d’explications à ce problème, la ministre en charge de l’Energie a fait une décente dans les installations de l’EDM courant semaine dernière. Au terme de celle-ci, la ministre a fait des révélations qui chargent la société EDM. En colère, les travailleurs de l’EDM ont répliqué aux propos de la ministre. Tout le monde s’en lave les mains.

Les Maliens ont été abasourdis par les propos tenus par la ministre de l’Energie et de l’Eau, Bintou Camara, sur la Télévision publique. Elle a notamment indiqué que 59 citernes contenant chacune 45 000 litres de gas-oil ont disparu en l’espace de 4 jours. Sans oublier des surfacturations exorbitantes.

Selon la ministre, sur 2 mois de contrôle, 1,6 milliard de F CFA de surfacturation a été découvert sur un seul fournisseur. Pour la seule année 2022, continuera-t-elle, 52 surfacturations pour un montant de 18,6 milliards de F CFA ont été constatées. Et de révéler que des agents ont transformé des centrales à fioul en centrale à gas-oil. Avant, les révélations scandaleuses sur l’achat des groupes électrogènes pour l’EDM avaient défrayé la chronique.

Ces déclarations de la ministre Camara ont donné matière à discussions à la population meurtrie par le délestage. Certains la croient et pensent qu’elle doit être soutenue. De l’autre côté, d’autres sont dubitatifs et parlent de diversion. Au-delà de la population, les déclarations de la ministre ont suscité la colère des travailleurs de l’EDM qui s’estiment touchés dans leur dignité.

Le vendredi, les agents, à travers les trois syndicats, ont rompu le silence. Ils ont répliqué aux propos de la ministre. Baba Daou, responsable syndical, a révélé  « les problèmes réels de l’EDM ». Pour lui, le problème est tellement profond que ni le personnel, ni le gouvernement, ni la population, individuellement, ne peut résoudre les maux de l’EDM.

Il ajoutera que le plus grand problème auquel l’énergie du Mali fait face est le manque d’investissement. « A Bamako, l’EDM consomme 20 citernes par jour et 5 citernes dans les centrales de l’intérieur. Chaque jour, l’EDM gagne 700 millions de F CFA. Mais, ses dépenses journalières s’élèvent à 1,2 milliards », a expliqué le syndicaliste.

Aussi, Baba Daou a souligné le problème de tarification. Il dira que selon le rapport 2021 du Comité de régulation de l’eau et de l’électricité (Cree), l’EDM travaille à perte. Elle vend le kilowatt en dessous du coût de production. A en croire le syndicaliste, il existe de problèmes à tous les niveaux de l’entreprise à savoir la production, le transport et la distribution d’électricité.

En réaction aux propos de la ministre, M. Daou a rappelé que ce sont les ministres qui imposent des choix d’opérateurs aux directeurs de l’EDM lors de l’attribution des marchés. Et de déplorer que certains de ces opérateurs favorisés ne parviennent pas à exécuter les marchés à eux attribués.

Réprimandes

Abba Sofiane Diallo est secrétaire général Synacor. Visiblement, il est très fâché contre la ministre d’avoir traité les 2500 agents d’EDM de voleurs. Dans sa réplique à ces propos, il n’est pas allé de main morte.

Selon ses explications, les deux citernes qui ont été présentées sur l’ORTM comme du carburant volé appartenaient à la Société Lah et fils. « Mme la ministre prétend qu’un fournisseur avait livré 17 citernes dans la journée du 19 octobre et qu’ils n’ont pas vu la trace sur les documents et que le chef de la centrale de Balingué avait été réticent à leur fournir des données. Les 17 citernes dont elle parle ont été dépotés avec des bordereaux de réception. La ministre a également affirmé que l’Etat a subventionné l’EDM à hauteur de 106 milliards, de janvier à septembre 2023. Elle a tout faux. A moins qu’elle n’ait confondu la subvention avec les arriérés de consommation d’électricité des services. Sinon en 2023, les subventions reçues par l’EDM de l’Etat s’élèvent à 21,5 milliards », précisera-t-il.

Il a accusé la ministre et son chef de cabinet d’avoir mis du gasoil dans les centrales-fioul de l’EDM le 22 septembre dernier. Il a justifié les coupures par la vente du kilowatt de l’EDM à un prix inférieur au coût de production. Le coût moyen de production du kilowatt tourne autour de 168 F CFA. Or, le prix de vente du kilowatt ne dépasse pas 138 F CFA, ajoutant que beaucoup de groupes de l’EDM sont en panne faute d’entretien.

Les syndicats ont dit tout ignorer des groupes qui devaient être achetés en Turquie mais qui l’auraient été au Nigeria et avec des capacités beaucoup inférieures que sur les capacités initialement prévues dans le marché. Ils disent qu’ils ne sont pas associés à la passation des marchés. La direction n’a pas voulu se prononcer la situation. Concernant 59 citernes prétendument disparues, ils disent attendre les conclusions des investigations que la ministre a annoncées.

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La coupure d’électricité est devenue un crime sans coupable. Les travailleurs pensent que l’Etat ne joue pas assez son rôle. Le ministère pointe du doigt à la mauvaise gestion des ressources de la société. De son côté, la direction reste muette. En attendant de trouver le coupable, la population continue souffrir.

Yacouba Traoré (Source l’hebdomadaire malien   »le Focus »)