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MODIBO MAO MAKALOU, ECONOMISTE : « Il faut ouvrir le capital d’EDM-SA au privé »

L’ouverture du capital de l’Energie du Mali (EDM-SA) au privé paraît d’une ardente obligation aux yeux de l’économiste et financier Modibo Mao Makalou, qui a accepté, une fois de plus, de nous entretenir sur le sujet. Pour M. Makalou, il est nécessaire d’attirer les investisseurs, instaurer au son sein de l’entreprise une nouvelle gouvernance, changer ses modes de production, adapter les tarifs actuels, exploiter le potentiel national en énergies nouvelles… pour sauver l’économie nationale et assurer la sécurité publique. Interview

Depuis de nombreuse années, nous constatons pendant la période de grande chaleur, des coupures intempestives de courant y compris des délestages ces derniers mois. Selon vous, quelles sont les causes de ses nombreuses coupures ?

Modibo Mao Makalou : La demande d’énergie électrique au Mali est en constante progression (+ 10 % par an en moyenne), pour une puissance totale installée de l’ordre de 866 MW en 2022 contre 781 MW en 2021.  Le système de fourniture d’électricité d’EDM-SA comprend principalement deux composantes : une composante production-transport-distribution-vente (PTDV) et une composante achat-transport-distribution-vente (ATDV).

L’accès à l’électricité au Mali a sensiblement augmenté ces dernières années, passant de 32,43 % en 2013 à 41 % en 2019 puis à 55 % en 2022 selon le ministère de l’Energie, en partie grâce aux services d’électricité fournis par EDM-SA, aux sociétés énergétiques privées locales soutenues par l’Agence malienne pour le développement de l’énergie domestique et de l’électrification rurale (Amader), par le Fonds d’électrification rurale. Toutefois, les taux d’électrification sont encore très faibles, en particulier dans les zones rurales (environ 20 % dans le secteur rural, comparativement à 80 % dans les centres urbains).

La puissance en pointe sur le réseau interconnecté au Mali est actuellement estimée à environ 440 mégawatts en période de grandes chaleurs sur le réseau interconnecté et la production d’électricité disponible n’est que de 150 MW : créant un déficit actuel de 290 MW qui impose des délestages.

EDM-SA n’arrive pas à satisfaire entièrement la demande d’électricité qui est largement supérieure à l’offre d’électricité ce qui engendre donc un déficit (écart) qui doit être comblé par une production (offre) additionnelle qui nécessite des charges additionnelles de plusieurs dizaines de milliards F CFA.

Ainsi, les achats de combustibles annuels se chiffraient en moyenne à 350 milliards F CFA en 2021-2022 et le résultat net d’EDM-SA était déficitaire en 2021 de 55 milliards F CFA pour un chiffre d’affaires de 225 milliards F CFA pour une subvention publique de 63,3 milliards F CFA. En 2022, le résultat net déficitaire était de 210 milliards F CFA milliards F CFA pour un chiffre d’affaires de 244 milliards F CFA et une subvention publique d’un montant de 30 milliards F CFA. Aussi, les créances d’exploitation pour les clients particuliers, l’administration, les municipalités, l’éclairage public et les autres créances s’élevaient à 171 milliards F CFA en 2022.

Quelles sont les conséquences des coupures d’électricité pour l’économie ?

M. M. : Au Mali, un des importants défis reste la production d’électricité à un coût abordable car la production d’électricité à EDM-SA est assurée en grande partie par des centrales thermiques et hydroélectriques. En effet, en 2022, la part des centrales thermiques (centrales diesel propres à EDM-SA et celles en location) utilisant des combustibles pétroliers représentait environ 60 % de la production totale, les centrales hydroélectriques environ 32 %, les importations de Côte d’Ivoire 11 % et le solaire environ 6 %.

Le secteur de l’énergie couvre des enjeux forts importants en termes de développement économique. En effet, la demande énergétique augmente plus rapidement que l’évolution du produit intérieur brut (PIB), ce qui posera non seulement d’une part un problème de productivité et de compétitivité, mais d’autre part aussi des difficultés de sécurité d’approvisionnement énergétique.

Le PIB du Mali (production nationale) croit d’environ 5 % par an contre 14 % pour la demande d’énergie primaire hors biomasse et plus de 10 % pour l’électricité.

Suite aux manques de financement à moyen et long termes pour les investissements les réseaux d’EDM-SA connaissent de nombreux dysfonctionnement tels que la surcharge des lignes de transport et de distribution ainsi que la saturation des postes sources dus à la croissance de la demande. Ces contraintes d’exploitation restreignent les capacités de transit de l’énergie vers la clientèle. Ce qui constitue un manque à gagner non négligeable seulement pour EDM-SA. Aussi, les dettes fournisseurs qui étaient de 300 milliards F CFA en 2021 ont atteint 509 milliards F CFA ce qui constitue un frein pour l’approvisionnement d’EDM-SA pour faire face à la fourniture d’électricité à ses clients et grève les coûts de production qui étaient de 149 F CFA le kilowattheure en moyenne en 2022 pour un prix de vente moyen de 100 F CFA le kilowattheure.

Quelles sont les solutions aux coupures d’électricité au Mali ? Faut-il privatiser EDM-SA ?

M. M. : EDM-SA est une société anonyme à caractère industriel et commercial dont le capital social se chiffre à 32 milliards F CFA. L’Etat malien est devenu l’actionnaire unique d’EDM-SA depuis le 31 mars 2018, date de paiement du prix de cession au partenaire privé. Ainsi, il y a lieu d’améliorer dans les meilleurs délais la gouvernance d’EDM-SA en associant le secteur privé au capital de la société publique afin d’améliorer sa gestion et lui permettre de mobiliser des ressources financières longues pour financer les investissements prioritaires, ce qui lui permettra de faire face à ces difficultés de gestion d’ordre technique, juridique, comptable et financier.

Il s’agira prioritairement de maîtriser les charges d’achat de production d’électricité qui sont passées de 91 milliards F CFA en 2021 à 132 milliards F CFA en 2022 soit une hausse de 45 %. De même, il y a lieu de réduire les charges pour les combustibles des centrales thermiques qui se chiffraient à environ 170 milliards F CFA en 2021 et qui ont atteint 249 milliards F CFA en 2022 soit une hausse de 47 %.

Par ailleurs, l’exploitation des énergies renouvelables est assez faible au Mali malgré son énorme potentialité, nous pouvons noter que les énergies renouvelables pourraient surtout contribuer à pallier le déficit d’électricité d’environ 300 MW. Pour ce qui concerne les opportunités pour développer les énergies renouvelables (hydraulique, solaire, et éolienne) elles sont largement sous-utilisées. En effet, seulement 250 MW d’énergie hydro-électrique sont exploités à ce jour sur les fleuves Niger et Sénégal dont le potentiel s’élève pourtant à 1 GW.

Selon l’inventaire des sites d’hydroélectricité sur l’ensemble du territoire national, 25 % seulement du potentiel estimé en termes de puissance est utilisé, soit environ 1GW. Le Mali pourrait devenir un grand producteur d’énergie solaire car il bénéficie de 7 à 10 heures d’ensoleillement par jour toute l’année (avec une irradiation moyenne, de 5 à 7 kWh/m2 /J contre une moyenne mondiale estimée à 4-5 kWh/m2/J). De plus, les prix des équipements et matériels solaires se sont beaucoup améliorés et ont baissé de 80 % ces 10 dernières années.

Ainsi, il serait important de diversifier le parc de production énergétique en exploitant le potentiel hydroélectrique du pays, en prenant en compte les potentialités offertes par le solaire, les biocarburants et l’éolien pour accroitre l’offre d’électricité et le taux d’interconnexion au réseau électrique de la sous-région tout en diminuant les coûts de production qui sont élevés suite à la part majoritaire de la production thermique, de la hausse substantielle des coûts des hydrocarbures et de l’appréciation du dollar par rapport au F CFA. Par ailleurs, il importe et d’adapter les prix de vente de l’électricité qui sont restés relativement constants ces  20 dernières années aux coûts de revient pour permettre à EDM-SA d’atteindre son équilibre financier et de pouvoir satisfaire la demande de ses clients.

Aussi, l’élaboration d’un document de la Politique énergétique nationale (Pen) dont le dernier date de 2006, de même que la mise en œuvre du plan de développement 2022-2026 pour mobiliser 580 milliards F CFA par an  pour les investissements se révèle une impérieuse nécessité, la mise à jour et l’adaptation des textes réglementaires et des différentes stratégies nationales des sous-secteurs de l’énergie, est indispensable afin de les rendre plus cohérents et opérationnels notamment pour ce qui concerne les investissements dans les énergies renouvelables.

Propos recueillis par A. M. Thiam

Source : l’hebdomadaire malien le ‘‘Focus’’

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